Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
20 avril 2024 6 20 /04 /avril /2024 16:54

Un vendredi de janvier 1942

 

Madeleine s’active dans leur petite chambre, pour que tout soit propre et joli afin d’accueillir son homme. Stanislas devrait rentrer pour le weekend. Nadja s’est endormie dans son berceau, quand Madeleine se rend compte qu’elle n’a plus de pain. Hésitante, elle se dit que le bébé dort, et qu’elle n’en a que pour quelques minutes, le temps de descendre, de courir à la boulangerie, et de revenir, la petite ne se rendra pas compte de son absence. Elle couvre Nadia d’un lainage supplémentaire, l’embrasse sur le front, et sort sans bruit. Laissant la clef sur la porte, afin que les voisins interviennent si la petite pleurait trop fort. Elle dévale les escaliers, et court dans la rue jusqu’à la boulangerie. Elle a oublié qu’il pourrait y avoir la queue, comme de plus en plus souvent. Dans la file, les gens discutent entre eux, échangeant sur le prix de toute chose, les tickets d’alimentation, la faim, les maladies, les enfants, la guerre, les attentats… Madeleine ne s’en mêle pas, elle est préoccupée, « si ma douce Nadiejda se réveille et qu’elle pleure, pourvu que la queue se résorbe suffisamment vite… ».

Enfin c’est son tour de prendre une part de pain noir contre ses bons de rationnement.  Elle se presse pour remonter la rue d’un pas rapide, quand elle croise un voisin.

  • Ah vous êtes là ! S’écrit-il, on a entendu la petite hurler alors on est monté voir, et on a vu les boches chez vous !

Stupéfaite, elle en laisse tomber son filet avec son pain. L’homme le ramasse et lui tend.

  • Ça va aller ma p’tite dame ?  Madeleine pense à toute allure, son bébé qui doit avoir été réveillé par ces brutes, et Staczek qui va arriver par le bus … que faire ? Elle demande au voisin s’il veut bien attendre son mari à la station de bus pour le prévenir de ne pas monter, mais l’homme refuse,
  • Ah non non non ! Je ne veux pas avoir d’ennuis moi ! Je ne sais pas ce que vous avez à vous reprocher tous les deux, et je ne veux pas le savoir ! ça ne me regarde pas ! C’est déjà bien que je vous prévienne.

Et il s’en va. Madeleine a le ventre qui se tord d’angoisse. Elle se dit qu’« ils » ne feront rien à un bébé, du moins l’espère t’elle, qu’il n’y a rien à trouver chez elle, mais que Staczek ne doit surtout pas rentrer à la maison. C’est sûrement lui qu’ « ils » sont venus chercher. Elle se résout donc à l’attendre, les mains dans les poches de sa veste. Ils ont convenu de cela ensemble, si jamais il y avait une alerte, mettre les mains dans les poches, et faire comme s’ils ne se connaissaient pas, marcher dans la même direction à distance et dès que la voie est libre, passer la main droite dans les cheveux.

Elle attend, un bus s’arrête à l’arrêt, sans voir descendre Stanislas. Il ne lui a pas donné d’heure pour rentrer. Le temps passe et la boule d’angoisse se fait de plus en plus violente dans son ventre. L’heure du couvre-feu ne va pas tarder, elle a froid, mais tremble de peur. Enfin un autre bus approche, elle baisse la tête, de peur qu’on ne voie qu’elle attende quelqu’un, les mains enfoncées dans ses poches. Elle fait celle qui cherche quelque chose à terre. Staczek a remarqué les mains et descend du véhicule sans la regarder, il s’accroupi pour relacer sa chaussure. Madeleine comprend qu’il lui donne de l’avance, alors elle prend la direction opposée à la maison, passe sa main dans ses cheveux et entre dans une porte cochère quelques mètre plus loin. Quelques minutes s’écoulent et il entre à son tour. Elle se jette dans ses bras, 

  • Les boches sont à la maison, murmure-t-elle.
  • Je sais comment aller, ne t’inquiète pas moj scarbie. Je vois toi chez Mich’ euh Marcel demain, trébuche-t-il sur le nouveau prénom de son ami, surtout, donne beaucoup baiser de son papa à moje kochanie[1] Nadja.

 Il l’embrasse, lui saisit le visage dans ces longues et larges mains râpeuses, la dévisage avec une grande douceur, l’embrasse encore, en silence et se sauve dans la nuit qui commence à tomber. Elle sort quelques minutes plus tard, émue par la tendresse de son homme, puis cours jusqu’à leur chambre. Elle entend sa fille hurler d’en bas, son cœur se sert de plus belle. « En tout cas elle est vivante et toujours là ! » pense-t-elle. Elle arrive enfin essoufflée, un allemand tient le bébé dans les bras, il essaye de la distraire mais l’enfant n’est pas coopérative, elle a faim et aucune berceuse, même en allemand, ne peut la calmer. Madeleine se précipite sur celui-ci, qui fronce les sourcils, et dit 

  • En voilà une mère qui laisse son enfant seul comme ça ! Où étiez-vous quand votre bébé pleurait ? 
  • Avec le froid qu’il fait dehors, une bonne mère ne sort pas son bébé ! Et si j’ai été longue c’est qu’il faut faire la queue pour obtenir un pauvre morceau de pain ! Répond-elle avec colère, leur montrant son filet encore à son poignet.
  • Rendez-moi mon bébé ! ajoute-t-elle en arrachant son enfant des bras maladroit de l’allemand qui tentait de bercer la petite, je ne pense pas que vous soyez qualifié pour la nourrir vous-même ! Elle replace le tabouret contre le mur et cherche à s’installer pour allaiter son bébé.

 

Ils ont retourné toute la chambre, le lit est défait et la vaisselle, les vêtements, même les carottes qui étaient conservées dans une boite pleine de sable aussi, tout est sans-dessus dessous.  Le berceau a également été fouillé, retourné. C’est alors qu’elle surprend le regard vicieux d’un des hommes, sur sa poitrine rebondie.  Furieuse elle se voile dans son écharpe de laine en leur tournant le dos. Ils l’interrogent néanmoins.

  • Où est votre mari Monsieur OBODA Stanilaw[2]?
  • Il est en Allemagne, je crois, il est prisonnier, improvise-t-elle.
  • Vous croyez ? Pourquoi croyez-vous ? Où ça en Allemagne ?
  • Je ne sais pas
  • Vous ne savez pas quoi madame ? S’il est prisonnier ? Ou bien où il se trouve ?
  • Je ne sais pas où il est. Elle à la tête penchée sur son bébé, elle sent le regard inquisiteur de l’homme qui l’interroge et ne veux pas lui montrer qu’elle improvise ses réponses.  Il faut qu’elle ait l’air sûre d’elle, mais à l’intérieur elle tremble de peur.
  • Vous savez, madame, nous sommes des gens organisés et civilisés, et même nos prisonniers ont le droit d’écrire à leur épouse ! dit l’officier avec un certain mépris condescendant.
  • Je ne sais pas où il est, répète Madeleine. Plus elle sera évasive pense-t-elle et plus elle laisse de temps à Staczek pour se cacher.
  • Je suis sûre que vous savez qu’il n’a jamais été prisonnier madame, nous tenons des listes exactes de nos prisonniers, et je n’ai pas de OBODA Stanislaw dans mes listes. J’ai vérifié. Un instant elle panique, et improvise :
  • Si vous voulez tout savoir, il m’a quitté, dit-elle en colère. 
  • Quel vilain homme ! Ce n’est pas correct de laisser sa femme et son enfant !
  • Je ne sais pas où il est répète-t-elle d’un ton lasse, laissant perler des larmes aux coins de ses yeux, la pression, la peur, elle ne sait, mais ça fait son effet, l’homme semble s’adoucir. Elle répète :  Il m’a quitté, vous croyez que ce n’est pas déjà assez dur pour moi ?
  • Très bien madame, de toute les façons, nous n’avons rien trouvé ici, donc nous allons nous retirer. Si vous avez des nouvelles de votre mari, je voudrais être informé. Pouvons-nous compter sur vous ? demande l’officier d’un ton métallique et froid.
  • Ça m’étonnerait que je le revoie un jour, prédit-elle, toute à son jeu de rôle, et même s’il revenait, vous croyez que je le reprendrai ? et d’abord qu’est-ce que vous lui voulez ?
  • Il vaudrait mieux pour vous que vous nous informiez de son retour s’il revient, conclu l’homme au regard de glace. Le reste ne vous regarde pas. Aurevoir madame. Et ils s’en vont, laissant derrière eux le chao dans la chambre et dans le cœur de Madeleine.

 

Ils ont eu chaud.

 

[1] Ma chérie

[2] Orthographe allemande de Stanislas

Partager cet article
Repost0
12 avril 2024 5 12 /04 /avril /2024 08:40

(...) Malgré toutes ces préoccupations, chaque fois qu’il le peut, il rend visite à sa femme et sa fille, durant l’hospitalisation après l’accouchement. Ce sont, pour lui, des parenthèses de bonheur. La petite ne cesse de dormir à chacune de ses visites, si bien qu’il la surnomme « ma chérie petite dormeuse ». Elle a le sommeil aussi lourd que lui, malgré toutes les tentatives qu’il fait pour la réveiller, il l’embrasse, lui chatouille le nez, les oreilles, lui parle, l’appelle en polonais ou en français, le bébé reste les yeux clos, c’est à peine si elle retrousse les lèvres quand il tente de lui mettre le petit doigt dans la bouche, et ils en rient tous deux, de ce bonheur d’être ensemble, complice, amoureux. Mais ces moments sont trop courts, car la vie de Stanislas est une course permanente.

 

Il faut aussi courir pour obtenir les cartes d’alimentations. Staczek parle le français mais avec un fort accent polonais. Pour obtenir la carte d’alimentation de sa fille, on lui a donné, à la maternité, le certificat de naissance ainsi que le livret de famille dans lequel est inscrite sa fille, Nadjia. Avec cela il s’est rendu à la Mairie de Puteaux. L’employée derrière le guichet est une femme grisonnante, les cheveux relevés sur les côtés du visage avec deux énormes peignes noirs et or. Elle a des lunettes d’écailles sur son long nez, et regarde les gens par-dessus.

 

  • Bonjour Madame, je viens pour carte alimentation, dit-il poliment, à la maternité on me donne ça…et il dépose le certificat de naissance et le livret de mariage sur le comptoir de bois.

L’employée dévisage l’homme avec dédain et se saisi des documents de deux doigts, comme si elle craignait qu’ils ne soient sales. Elle lit attentivement, puis les redépose sur le comptoir, toussote pour éclaircir sa voix et dit haut perché :

  • Puis-je voir votre carte d’identité ?
  • Je pas de carte, je certificat de travail et permis de séjour correct, …
  • Avez-vous fait votre déclaration de juiverie ? demande-t-elle d’un air dégouté.

Il fronce les sourcils, quel absurdité de diviser les gens pense-t-il.

  • Non, je ne pas Juif, madame, je polonais c’est tout
  • Vous habitez Puteaux ?
  • Oui madame, au …
  • Je dois voir un certificat de domicile qui me le prouve, l’interrompt-elle.
  • Madame je désolé, je pas certificat comme ça, qui doit donner moi certificat ?
  • Eh bien, fait-elle d’un ton méprisant, si vous êtes locataire c’est votre logeur, ou votre concierge s’il a reçu l’autorisation préfectorale de le délivrer.
  • Bien je remercie vous, je demande à concierge, au revoir Madame.

Mais la dame ne répond pas elle marmonne dans sa barbe que ces étrangers exagèrent, ils ne savent rien et la dérange pour tout !

 

Il retourne à la maison, il s’adresse à un homme rougeau, qui visiblement s’installe dans l’office.

  • Bonjour, où je cherche Monsieur G. le concierge de ici ?
  • Ben c’est moi le nouveau concierge, qu’est-ce qu’il veut l’monsieur ? demande-t-il avec un fort accent chti.
  • Je dois faire carte alimentation pour ma fille, elle née avant hier, et bientôt arrive avec sa maman, la Mairie dit, il faut certificat domicile. J’ai besoin. L’homme lui souris, il semble sincèrement ravi.
  • Ah ! félicitation ! dit le bonhomme, ben c’est que mi euh j’peux pas vous faire ça, pour l’heure! je ai pas l’autorisation de délivrer ces papiers encore, c’est que maintenant faut se présenter à la préfecture pour tout ! même si on est des bons français, qu’on a fait la guerre, tout ça ! ben faut quand même prouver qu’on n’est pas des planqués ! c’est un monde tout de même ! s’emporte-t-il tout seul. Et il cherche l’approbation de Stanislas.

Stan n’approuve pas, ne nie pas non plus, il reste calme, et demande :

  • Et alors qui peut ? parce que je veux carte pour elles ! et pour carte il faut certificat !
  • J’comprends votre problème, mi ! hein ! mais je peux pas vous délivrer ce foutu certificat ! Faudrait voir avec M’sieur G. l’ancien concierge. Il a changé d’crèmerie ! mais y r’passe a d’main, je vais lui en causer, mais faudra repasser d’main alors hein ?
  • Je comprends un peu. Merci. Je suis demain ici, pour voir Monsieur G. et il donnera le certificat. C’est le matin, où l’après-midi que je dois venir ?
  • Bah…ça devrait plutôt être l’après-midi…je pense hein…vous habitez là depuis longtemps ? c’est qu’mi j’connais pas tous les locataires encore, …il dévisage Stanislas, avec insistance.

 

L’homme est serviable, gentils, mais un peu trop bavard et curieux. Tout en restant correcte et poli, Stanislas lui donne le minimum d’information, restant vague sur son métier, ses origines… (...)

Partager cet article
Repost0
27 juin 2012 3 27 /06 /juin /2012 10:47

à bollène, on a empéché des anciens Résistant combattant de la libération de chanter le chant des partisans!

je me sens profondément révoltée par ces incultes qui n'ont aucuns respect pour ces personnes ! cela me révolte, me boulverse au plus haut point.

pour moi, c'est même plus que scandaleux, c'est une négation de l'Histoire.

si l'on interdit de chanter, où allons-nous???

ce chant représente l'unité, la révolte contre les injustices, contre l'occupation, la Résistance! 

il est aussi le symbole profond, que je ressend dans ma chaire, de l'action entreprise par ma grand mère! à peine son mari fusillée en 1942, qu'elle pris les armes jusqu'à la libération de la France!  son sacrifice, mais encore plus celui de ses compagnons d'armes qui ne s'en sont pas relevé est une leçon pour nous qui vivons dans la paix! cette paix qu'ils ont gagné de leur sang!

interdire ce chant c'est tout bonnement interdire le devoir de mémoire! 

en même temps, qu'attendre de plus des fn???

 

voir l'article de la provence ci-dessous:

 

 Bollène interdit le Chant des Partisans.

 

« Parmi les trois membres de l’équipe municipale de Bollène qui se sont opposés à ce que soit écouté le Chant des Partisans lors de la commémoration de l’appel du 18 juin 2012, André Yves Beck adjoint aux finances et le directeur de Cabinet du Maire de Bollène. Tous deux étaient candidats, l’an dernier, aux  cantonales sur Avignon et sur Beaumes-de-Venise pour  la Ligue du Sud, la formation politique de Jacques BOMPARD et du suppléant de Marion LE PEN, Hervé De LEPINAU. En refusant que soit chanté le prestigieux Chant des Partisans  sous de fallacieux arguments anti-communistes, l’extrême droite montre une fois de plus son vrai visage, celui du révisionnisme, du mépris des résistants et de leurs familles et de sa haine anti-communiste. Au moment où le Vaucluse envoie deux députés d’extrême droite siéger à l’assemblée nationale, la vigilance s’impose  dans le camp républicain ! Le PCF assure de son soutien les citoyens médaillés militaires pris à partie lors de la commémoration. 

 

Fédération de Vaucluse du PCF, Le 20 juin 2012 La Provence Haut Vaucluse  du 20/06/12.

 

Article : La provence.com/article/faits-divers-justice/foire-dempoigne-lors-de-la-ceremonie-du-18-juin

 commentez, dites votre avis! 

et surtout, si vous passez par Bollène cet été sur la route des vacances, arrêtez vous et allez chanter le chant des partisant à tue-tête dans Bollène! et sur le momnument aux morts! faisons leur savoir que nous ne rendrons pas les armes! que ce chant n'arien d'illégale!

voyez ces paroles!: de Kessel et Druon

Parole de chanson Chant des partisans 

 

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?

Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne ?

Ohé, partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme.

Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et les larmes.

 

Montez de la mine, descendez des collines, camarades !

Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades.

Ohé, les tueurs à la balle et au couteau, tuez vite !

Ohé, saboteur, attention à ton fardeau: dynamite...

 

C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères.

La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère.

Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rèves.

Ici, nous, vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève...

 

Ici chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe.

Ami, si tu tombes un ami sort de l'ombre à ta place.

Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes.

Chantez, compagnons, dans la nuit la Liberté nous écoute...

 

Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu'on enchaîne ?

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?

Oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh oh...

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
4 octobre 2011 2 04 /10 /octobre /2011 17:07

 

 

J’ai 12 ans, on est en Pologne avec papa, maman et mon frère. C’est l’été. Il fait un temps magnifique. Jan est avec nous. Il nous accompagne. Jan c’est l'ami d’enfance à maman. le fils de Dasha, (dont on parle dans l'interview de Madeleine.)

Je ne sais plus quelle heure il est quand nous arrivons sur un immense parking, est ce qu’on s’est levé tôt ? Est –ce qu’on est parti de Varsovie?  Plus vraisemblablement de Cracovie. Je ne me souviens plus du tout. Ce dont je me souviens c’est de la douceur du temps, du vent léger qui souffle sur les grands arbres, des peupliers, dans mon souvenir, les feuilles jaunissent légèrement. Est-ce que l’on sait où nous sommes, mon frère et moi ? Il a 10 ans, moi 12. Certainement que nos parents nous ont parlé, nous ont informé avant. Oui, ils avaient dû nous raconter ce que nous allions voir. Ils nous parlaient beaucoup. Tant de la guerre, des camps de déportés, de la Résistance… nous étions plongés depuis longtemps déjà, dans ces récits héroïques de nos grands-parents résistants, luttant à mains nues contre l’ogre germanique nazi.  Mais entre un récit épique teinté de romantisme et la réalité, il y a les frontières de notre âge. Nous sommes encore innocent, juvénilement innocent. Bien que connaissant l’Histoire, nous n’avons sûrement pas conscience, encore, de ce qui nous attend. En tout cas, je me souviens, que j’y allais d’un pas léger, trop léger, sûrement.

Avant d’entrer proprement dit dans le camp, il y a un bâtiment moderne, sur le parking, dans lequel on trouve la billetterie, une salle avec des vitrines : un costume rayé, des effets de prisonniers … et des livres, des photos…je ne sais plus avec exactitude.

Il y a, surtout, une statue, monumentale dans mon souvenir, d’un humain accroché à des barbelés, dans une posture désespérée.

C’est en la voyant, que la réalité du camp m’a rattrapée. Cette statue, noire, grise, affreusement réaliste, m’a stoppée net.

J’ai compris. A ce moment là précis.

Le poids du réel. Cela m’est arrivé droit au cœur.  

Je n’ai pas pu aller plus loin.

J’étais happée, par les âmes des déportés, par leurs souffrances, envahie d’effroi, de chagrins et d’angoisse. Je ne pouvais plus, à partir de là, être dans l’insouciance, dans la légèreté d’une visite parmi d’autres. Rien ne pouvait plus être comme avant.

 

Quelques jours avant, nous avions visité Cracovie, cette ville pleins de couleurs et de charmes Peu de temps avant,  nous avions aussi visité Varsovie, sa vieille ville reconstituée, j’avais été charmée, enthousisate.

 

Mais là, dans ce hall vitré, aseptisé pourtant, je ne pouvais plus faire un pas de plus. Est-ce que j’ai dit quelque chose ? Je ne m’en souviens plus. Je sais que  Jan m’a pris par la main, et que nous sommes sortis. Je crois que lui non plus, ne pouvais pas, ne voulais pas aller plus loin. Je crois qu’il a été ému, lui aussi. Peut-être pas de voir la statue. il devait savoir ce qui l'attendait.  Il me semble que son père fut déporté là. Je n’en suis pas sûre.  Peut-être aussi est-ce  mon émotion...

De toute façon, mes parents n’ont pas insisté. Mon frère a dû être interrogé, pour savoir s’il voulait faire ou non la visite, je suppose. Il a voulu. Il l’a faite.

montagne-de-chaussure-Auschwitz.jpg

C’est étrange, car autant je ne me souviens plus de l’avant, autant je me rappelle très bien que nous campions après ça. Et que mon frère qui dormait près de moi, fit de nombreux cauchemars, ensuite. Il pleurait dans son sommeil, appelait à l’aide, et parlait de chaussures.

On me raconta ce hangar avec des monceaux de chaussures. des pyramides monstrueusement hautes, et néanmoins ne représentant qu’une infime partie de celles des déportés qui périrent là. Mais si impressionnante, avec des chaussures d’enfants, si petites… est ce que c’est ça qui rattrapa mon frère dans le réel ? Est-ce qu’il s’imagina être l’un de ces enfants mené à la chambre à gaz  dans ses cauchemars? Je ne me souviens plus si nous en avons reparlé, sûrement que si, car maman devait se sentir si coupable d’avoir imposé ça à mon frère. Maman a dû être rassurante, nous promettre que ça n’arriverait plus. Se confondre en excuse aussi. Consoler. Et y mettre toute sa tendresse, pour nous remettre dans nos vies d’enfant, dans l’insouciance et la joie de vivre. Elle y parvint quand même.

 

Et pourtant….Il me reste, plus de 30 ans après, cette même émotion difficilement explicable, ce même effroi. Une résonance en moi, une communion avec ces enfants, ces femmes et ces hommes.  Je ne sais comment nommer, désigner cela.  En tout cas, je le perçois comme  une conscience aigüe, à vif, un devoir de mémoire, en quelque sorte. Une force contre l’oubli.

 

Je n'y suis pas allé pour rien. Même si je n'y suis pas rentré.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
1 octobre 2011 6 01 /10 /octobre /2011 08:57

j'avais dans ma bibliothèque un livre de Jorge Semprun "l'écriture ou la vie"

c'est un livre tellement bien écrit, tellement poignant aussi! où  il se raconte, jeune homme à Bucchenwald... avec une déchirante réalité, et pourtant une distance, qu'il obtient grâce à sa culture littéraire. il raconte l'indicible et le dit avec grâce et profondeur.

comment vous dire, je me sens portée, emportée dans ce tourbillon là, dans cette horreur de l'histoire. et néanmoins parfaitement lucide, engagée dans ce parcours historique, attentive.

toutefois,  j'ai la vue qui se brouille, parfois.  je suis obligée de faire des pauses, d'ancrer les mots en moi, de fermer les yeux, de respirer fort...il me prend aux tripes , il me déstabilise, il m'anéantis avec lui. je lui en veux de me déstabiliser ainsi, et en même temps je lui en demande plus, je persévère, je reprend, je me sens happée.

et puis il raconte des faits des rencontres qui me troublent...il a croiser les mêmes chemins que Madeleine, au parc Monsourit notamment pour y rencontrer un FTP MOI...un certain Koba... Madeleine y rencontrait "Georges" = Missak Manouchian, ou Michel Patriciu...Madeleine n'en parle pas bien sûr, elle ne le connaissait  sans doute pas, ce Koba, elle ne connaissait bien entendu pas tout le monde, le cloisonnement des groupes de résistant permettait la sécurité. mais c'est troublant, que ce parc fut fréquenté, dans la même période, par Jorge et Georges...

et puis je suis troublée par le mot qu'il emploi si souvent "fraternité"; Madeleine l'employait souvent aussi , et nous souriions, souvent, tant, l'emploi de ce terme nous semblait si désuet, si marqué d'une époque révolue...si entachée d'un militantisme aveugle...en tout cas, je me souviens d'avoir souri quand elle employait ce terme, sans comprendre son sens premier pour elle, pour eux.

et en lisant Semprun, je me rend compte combien nous étions loin du sens qu'ils y donnaient, eux, les résistants. il y avait derrière ce mot, une vrai humanité , un vrai sens fraternel, une vrai solidarité, une vrai union, ils y mettaient un sens que nous ne pouvions pas comprendre, ils étaient avec ce mot  uni dans un combat jusqu'à en mourir, et beaucoup en sont mort! alors me voilà pantoise, je me dis, que j'aimerai demander pardon à ma grand-mère d'avoir souri, d'avoir pris cette distante désinvolture avec ce mot là... de n'avoir pas compris combien il portait de deuil et d'abnégation ce mot là pour vous.

peut être , aussi que le travail que j'entreprends dans l'écriture de ce roman historique, sur mes grand-parent, tient de cette réparation, de ce besoin de dire le vrai sens de ces sacrifices, parfois vain, mais combien honorable!

je me sens en lien avec eux, Madeleine, Stanislas, Missak, Marcel, Thomas, Jorge...sûrement bien loin encore de la réalité, mais en communion, en résonance. j'espère être à la hauteur, un jour.


Partager cet article
Repost0
24 septembre 2011 6 24 /09 /septembre /2011 09:14

 

Comment viviez-vous le veuvage ?

Je m’imaginais toujours que Staczek n’était pas mort, ce n’était pas possible qu’il soit mort. Pour Dasha, son mari avait été déporté, elle ne savait rien de lui. Nous nous disions ce n’est pas possible, ils reviendront, alors on pleurait.

Quelques fois, Dasha prenait un bout de ficelle, un anneau et faisait un pendule qu’elle tenait au-dessus d’une photo de son mari, si l’anneau bougeait, cela voulait dire qu’il était encore vivant. Alors nous étions là, comme deux imbéciles, chacune avec son anneau, sa ficelle, sa photo, pour voir si nos mari étaient en vie, et nous nous encouragions : « tu vois, mais si ! il bouge l’anneau ! ». Nous étions communistes, quand même ! Nous n’aurions pas dû croire à des bêtises pareilles ! Mais nous nous raccrochions à n’importe quoi.

Et si la photo jaunissait, Dasha soupirait : «  c’est mauvais signe… »

 

Qu’est devenue votre amie Dasha ?

Après la guerre, elle est repartie en Pologne, mais en 1944, elle est entrée dans la résistance active. Les polonais, Roman, ont bien voulu garder son petit garçon, mais pas ma fille, ils trouvaient que deux enfants c’était trop.

C’est à ce moment-là que j’ai emmené ma fille avec moi dans le Maquis, au mois d’août 1944, je l’ai prise et je suis partie à Monceaux-les-mines.

Tant que Dasha s’occupait des deux enfants, je n’étais pas trop soucieuse.

 

Numériser0007

Après la chute de 1943 (novembre)[9] je suis devenue agent de liaison en province, en Normandie surtout, où se trouvaient des groupes soviétiques, d’italiens et de polonais.

Je faisais la route à bicyclette, il n’y avait pas d’hôtel pour dormir.

Je mettais 4 jours pour aller de Paris à Dijon de cette manière. Paris-Dijon, Paris-Monceaux-les-mines. J’étais un bon cycliste, je faisais 100 km par jour, autrement c’était trop épuisant.

Là je dormais dans des hôtels. Dans certains d’entre eux, je croisais des gens qui prenaient le frais, ils venaient se distraire à la campagne, tout à fait en dehors du coup. Et ça m’exaspérait de voir des gens en vacances, qu’ils ne puissent même pas se rendre compte de ce qui se passait autour d’eux. Pour nous, en temps de guerre, il n’était pas question de vacances !

Je me souviens, dans le Morvan, dans une petite gare, j’ai vu une famille, le monsieur faisait des au-revoir à sa femme 


C’était en été. A l’époque où je faisais la liaison soit en vélo, soit en train. Mais en 44, il n’y avait plus de trains réguliers.et ses enfants qui restaient, heureux, détendus, bien habillés, bronzés. Le papa qui partait, sa femme lui disait : « tu reviens samedi… » Et lui : « oui oui, tout de suite après le bureau, je serai là ». J’écoutais, et j’enrageais !

 

La première fois, je suis venue dans cette région par le train, avec ma gosse que je ne savais pas où caser. Les camarades de Monceaux-les-mines, se sont chargés de la placer. Mais la petite n’était pas bien dans cette maison qu’ils avaient trouvée. La jeune femme qui devait s’en occuper, ça n’allait pas, un jour, je suis revenue, la petite hurlait. Je l’ai reprise et je suis partie pour le maquis avec ma fille dans un panier, sur le vélo. Je l’ai emmenée, et je me suis trouvée dans un camion, avec de chaque côté un maquisard armé d’une mitraillette, et moi, avec ma fillette dans les bras. C’est un souvenir terrible. Je me disais, si nous sommes attaqués, mon enfant allait être tuée. C’est un des souvenir les plus affreux.

 


Cela a duré combien de temps ?

Pendant toute une journée, jusqu’à ce que nous trouvions des gens qui veuillent bien la prendre. Je me suis quand même vue dans un camion avec des maquisards armés…

 

 

Toujours ce même Roman me dit un jour : « je peux vous fournir un fusil-mitrailleur » je transmets le message à Michel qui répond « il faut voir ça avant ». C’est à cette occasion, je crois, qu’il est venu pour la première fois chez Dasha, avec moi. Donc Michel et moi venions voir le FM chez Dasha, où il se trouvait. Il faut dire que Roman avait toujours été très chic avec nous, il fournissait de la farine, des aliments à Dasha et aux enfants, il partageait tout ce qu’il avait.

On voir le FM, Michel l’examine et dit qu’il est bon, on doit l’emmener.

 

Comment l’avez-vous transporté ?

 Enroulé dans un tapis, tu vois un peu comme celui-ci. On l’enroule, mais c’est que ça pèse lourd un FM ! Au moins 8 à 10 kg ! Et qui doit le porter ? Moi, bien entendu, puisque je suis agent de liaison, responsable du transport, chargée du matériel, c’est le cas de le dire !

Durant la journée j’avais joué avec ma fille, je lui avais donné tout ce qu’il y avait dans mes poches. Puis, on part à la gare, avec Michel, qui, sur le chemin me donne quelques consignes : « tu laisses le FM dans le filet d’un compartiment et tu vas t’assoir dans un compartiment voisin, si quelqu’un vient, tu ne sais pas, c’est pas toi » et nous voyageons dans un compartiment différent, on ne sait jamais.

Nous descendons dans une petite gare, un peu avant Austerlitz, et nous faisons le trajet à pied jusqu’au passage Courtois. C’était vraiment très lourd, j’en avais marre du tapis, du FM… quand nous arrivons à l’entrée du passage, je pousse un soupir de soulagement. Fidèle à ses habitudes, Michel s’en va. Je monte enfin les deux étages avec mon fardeau, je veux prendre mes clefs dans ma poche, plus de clefs ! Quand ma fille avait joué cet après-midi, elle avait dû 

s’emparer de mes clefs ! Pas moyen d’entrer dans le dépôt. Et bien entendu, c’était dimanche, pas évident de trouver un serrurier. D’ailleurs, je ne savais pas où chercher, je ne pouvais pas non plus laisser le FM sur le palier, les voisins pouvaient avoir la curiosité de regarder dans le tapis. Je reprends le tout, et me voilà partie à la recherche d’un serrurier dans le quartier du Père-Lachaise ! J’en trouve enfin un, rue de la Roquette. Il veut bien venir avec moi. En un clin d’œil, il ouvre la porte, bien que ce fut un dépôt d’armes, elle s’ouvrait facilement cette porte ! Il me dit d’ailleurs : « elle est pas difficile à ouvrir votre porte ! » moi je pose aussitôt mon chargement sur la table, le serrurier commence à bavarder, il me dit tout en s’appuyant sur le tapis : « vous en faites pas, ma petite dame, parce que les allemands, il n’y en a plus pour très longtemps, des hommes décidés et des armes, il y en a plein en France ! » et il ponctuait les paroles de son discourt patriotique avec des coups réguliers sur le tapis fourré au FM ! Je me disais, à force de frapper du plat de la main sur le tapis il allait s’apercevoir que c’était un peu dur pour un tapis… Je l’ai payé vite fait, et j’ai eu hâte qu’il s’en aille.

Après ça, il a fallu encore le transporter ailleurs ce FM, car ce n’est pas la finalité d’un FM de rester caché dans un tapis, en temps de guerre… mais je ne sais pas qui l’a utilisé.

 

 

___________________________________________________________________________

 

 


[1] Malheureusement, il n’y a ni la date, ni le nom de l’interviewer, ni même les questions qu’il pose.

[2] Pour une lisibilité plus fluide, je prends le parti de recréer les questions, en fonction des réponses donnée,  car elles  sont absentes du document d’origine.

[3] Cette histoire ne figure nulle part dans les textes de Madeleine, ni dans cette interview.

[4] Certainement une note de l’auteur de l’interview, mais le complément n’existe pas dans ce document.

[5] Il n’y a pas de suite à cette phrase, ni de complément d’explications.

[6] Pas de suite.

[7] Non complété.

[8] idem

[9] Arrestation du groupe Manouchian le 17 novembre 43

Partager cet article
Repost0
23 septembre 2011 5 23 /09 /septembre /2011 09:08

 

Quels conseils vous donnaient-ils ?

de Boczov, j’ai encore dans mes oreilles le son de sa voix, la manière dont il m’expliquait les règles de prudence, la lutte, posément, ce qu’on pouvait faire, ce qu’il fallait faire.

Une fois que c’était dit, c’était dit.

numérisation0292

Je me souviens un jour il m’a dit : « tu as une belle tête, je ne voudrais pas qu’on la coupe », j’ai été étonnée, mais flattée quand même !    

Je mettais en pratique tous ces conseils. Il ne s’agissait pas seulement de faire attention à ne pas être filée, il fallait aussi inspirer confiance à ceux qui allaient exécuter l’action, attendre qu’ils rapportent le matériel.

On attendait pas trop loin de l’action.                                                                                                                                               

Par exemple, un jour à Levallois, j’ai attendu Rayman et Manouchian c’est lui qui a lancé la grenade, j’ai repris le revolver de Rayman qui est arrivé, très pâle, les flics tirant sur lui. J’ai attendu que Manouchian arrive aussi, nous sommes descendus dans le métro, il ne savait pas que j’étais là. Il est allé dans la dernière voiture, moi aussi, de sorte qu’il aurait pu me remettre du matériel s’il lui en était resté. Quand il m’a vu, il a souri. Plus tard il m’a dit « j’ai eu l’impression d’avoir un ange gardien.. » j’ai eu le malheur de raconter ça à un couillon de journaliste qui en (à compléter)[5].

C’était une action importante, c’était la première fois que Manouchian jetait une grenade. Lui aussi il m’inspirait confiance. J’ai eu plusieurs rendez-vous avec Manouchian, il était très chaleureux, très fraternel, pas de la même manière que Michel ou Boczov. Personne…[6]

C’est vrai que j’avais déjà une certaine expérience d’agent de liaison quand j’ai commencé à travailler avec Manouchian. Je n’étais plus en contact avec Boczov, avec Michel, si. J’ai eu aussi un autre contact avec quelqu’un qui s’occupait du matériel…j’ai oublié son nom. C’est lui qui m’avait appris à fabriquer une grenade artisanale, il fallait prendre un tube en fonte, une cartouche de dynamite, un cordon un détonateur… (à compléter)[7]

J’ai appris tout ça dans la chambre d’une copine… (à compléter)[8].

Fin 42 ou début 43, Michel m’avait confié une bouteille, il m’avait dit de faire attention à ce qu’elle ne soit pas exposée à l’air, sinon, le produit s’enflammait.

Me voilà assise dans le métro avec cette étrange bouteille cachée dans un sac à provision, et elle se met à fumer. Inquiète, je suis sortie du métro, je suis rentrée au dépôt, ça fumait toujours ? J’avais peur, je ne me souviens plus ce que j’ai mis dessus pour bien boucher la bouteille.

Après la guerre, j’étais toujours dans cette chambre, 10 passage Courtois, à un moment, pendant la guerre, il y avait tellement de matériel que j’avais dû prendre une autre planque pour moi, une chambre de bonne rue Monge.

Le dépôt est tout le temps resté passage courtois. Et après la libération j’y ai encore vécu avec mes enfants. Pour en revenir à cette bouteille, quand j’ai voulu m’en débarrassé, j’avais déjà rendu tout le reste, je l’ai prise et je suis allée la jeter dans un terrain vague, ça a fait une grande flamme, j’ai eu peur, je me suis dit que les gens croirait que je voulais faire sauter tout le quartier !

Je ne sais pas si je dois te raconter ça aussi…tu sais que pour faire sauter les gazomètres nous mettions ce que nous appelions des crayons (de plastique). C’est Michel qui m’avait appris à les fabriquer, il fallait les mettre dans un  préservatif, je ne connaissais pas ça, je me promenais un peu partout  avec ce matériel spécial, et après la guerre, il m’en restait une bonne caisse chez moi, et je n’avais toujours pas connaissance de l’usage réel de cet engin…

 

J’ai eu pas mal de rendez-vous avec Manouchian à partir d’un certain  moment, j’ai travaillé avec lui. Je n’ai jamais travaillé avec l’équipe des dérailleurs. Un jour, pourtant, Michel m’a montré comment on se servait d’une pince pour déboulonner les rails, sur le terrain, il m’a fait une démonstration technique.

Durant la période où j’avais rendez-vous avec Boczov et Michel, j’ai eu aussi comme contact, Olivier et Manouchian.

Nous avions rendez-vous avec les copines de liaison. Je savais que tel jour, telle heure, je rencontrerai Lucienne, ou une autre à un endroit précis. A ces rendez-vous, nous n’avions que des échanges verbaux, Lucienne me disait par exemple : « à telle heure, tel jour, tu rencontreras Manouchian, tu lui  apporteras tel matériel, ou tu prendras tel autre matériel que tu apporteras à untel… »

Manouchian je le rencontrais souvent au parc Montsouris. Je me souviens que c’était toujours très agréable les rencontres avec lui, il me parlait de l’Arménie, il me racontait comment dans son pays on faisait sécher le raisin sur les toits des maisons, il parlait de son pays avec émotion, il se livrait davantage que les autres. Il était très sensible à la beauté des choses. Nous avions souvent des rendez-vous aussi au Palais-Royal. Un jour que nous étions là, et qu’il me racontait quelque chose, je vois passer une dame, très maquillée, les traits accentués, elle avait les cheveux noirs, très frisés, pieds nus dans ses sandales, elle avait les ongles rouges vifs de vernis, je la regarde passer, un peu étonnée, Manouchian me demande alors : « tu sais qui c’est ? », « non », « c’est Colette, l’écrivain », du coup je n’ai plus trouvé qu’elle exagérait, j’avais lu quelques-uns de ses livres et j’avais bien aimé.

Il expliquait pas mal de choses, parlait de littérature, ce que les autres ne faisait pas, car on était beaucoup plus strictes. Le travail un point c’est tout. On ne prenait pas le temps de de longues parlotes ! Avec Michel aussi c’était surtout le travail.

Michel a fait la connaissance de Dasha, à la campagne. Nous avions du matériel à récupérer dans la région, il a aussi réparé les casseroles de Dasha, il est venu manger, et il a passé une soirée de Noël avec nous.

 

Vous aviez fait un arbre de Noël, des cadeaux ?

Non, il n’y avait pas d’arbre de Noël, la fête a du se passer chez les polonais, et non il n’y avait pas de cadeaux pour les enfants. Nous avions à peine assez d’argent pour vivre, pas assez pour les jouets. Les polonais avait fabriqué de la Vodka avec de l’alcool à 90°, je n’ai pas trouvé ça très bon, c’était chez Roman sa femme et son fils, qui habitaient un peu plus loin, dans un autre village. Nous avions mangé des gâteaux, sa femme les faisait très bien. Je m’en souviens, parce que nous avions toujours un peu faim, d’habitude. Les enfants n’étaient pas tellement habitués aux gâteaux, tu sais, la petite était encore petite, s’il y avait eu des jouets ce jour-là, cela devait être des petites choses.

 

Revenons à  Manouchian ?

C’était agréable d’entendre parler de L’Arménie, qui était pour moi un pays de légendes. D’ailleurs, il m’avait parlé du Mont Ararat, de l’arche de Noé, c’est ainsi que j’ai connu l’histoire du Mont Ararat.

Avec lui on ne discutait pas seulement de travail, il était gentil et chaleureux avec les camarades. Lucienne aussi était extrêmement enthousiasmée quand elle avait rendez-vous avec lui. Les rencontres étaient toujours chaleureuses.

Après la chute, nous n’avions pas su tout de suite qu’ils étaient tombés. Il ne vient pas à un rendez-vous, je vais au repêchage, il ne vient pas non plus (même heure, même endroit, le lendemain), ni au deuxième, ni au troisième, nous commencions à être catastrophées. Je rencontre Lucienne et lui demande : « tu as été au rendez-vous avec Manouchian ? », « oui, il n’est pas venu », alors on se doute qu’il est arrivé quelque chose. Je ne sais plus qui m’a prévenu, Michel ou Dupont. Je ne me souviens plus.

Quand nous avons appris avec Lucienne qu’ils avaient été arrêtés, nous avons pleuré toutes les deux, réfugiées dans un square.

Je n’ai plus revu Lucienne après, nous avons été dispersées, et elle a été tuée dans un bombardement.

Elle était très gentille, elle avait vingt-cinq ans je crois, elle était très jolie, elle était belle cette fille ! La première fois que j’ai eu rendez-vous avec elle, je la voit arriver avec le copain qui devait me la présenter, je me dis : « oh là là, qu’est-ce qu’elle est belle, qu’est-ce qu’elle a l’air sympathique ! » et tout de suite l’amitié… plus tard, elle m’a dit aussi : « quand je t’ai vu pour la première fois, je me suis dit qu’elle est sympa celle-là ! »

Lucienne, elle m’a paru grande. Elégante ? Elle n’était pas élégante, personne ne pouvait être élégante, nous n’avions pas de fringues, elle portait un vieux pull de son mari, mais tout ce qu’elle mettait sur elle, elle le portait bien. Je crois que tous les garçons qui l’on connut se souviennent encore d’elle, elle était vraiment jolie. Tu ne pouvais pas ne pas la remarquer dans la rue. Elle était de cette ville en Pologne où il y a cette vierge noire, c’est elle qui m’en a raconté l’histoire.

Une fois elle est venue aussi chez Dasha, à …

Elle était avec nous, Michel et moi, à l’occasion d’un transport de dynamite. Oui, c’est ça, elle était avec nous lors du voyage retour, je m’en souviens. Je t’ai raconté comment Michel m’a ordonné de remonté dans le train ?

Roman nous fournissait aussi du matériel, il en trouvait ou il en fauchait. J’étais donc responsable de ce paquet de dynamite. Le train faisait ses manœuvres sur les voies, j’avais l’habitude, puisque j’allais souvent là-bas voir ma petite famille. Je le savais bien que train faisais ses manœuvres à cette gare, mais qu’il reviendrait ensuite vers le quai. Nous étions descendu du compartiment, le paquet de dynamite était resté dans le filet du compartiment. Voilà que le train redémarre pour les manœuvres, j’avais une sciatique et voilà que Michel se fâche, et me donne l’ordre de remonter dans le train, j’ai beau lui dire qu’il va revenir, le train roulait déjà, il me donne l’ordre de remonter dans le train, je ne pouvais pas, à cause de cette sciatique, finalement nous sommes restés tous sur le quai, Michel, Lucienne et moi.

 

Pourquoi s’est-il fâché comme ça ?

C’était mon paquet, je l’avais en charge, j’aurais dû rester… bref, le train a fait sa manœuvre, et il est revenu. Je suis montée dans le compartiment, près de mon précieux chargement, et je me suis mise à pleurer, parce que Michel m’avait engueulé.

Il parlait à Lucienne, moi je pleurais dans mon coin. Nous n’étions que trois dans le compartiment, c’était vraiment une patache de train qui mettait 2 heures pour faire 60 km. J’avais de la peine, je respectais Michel, je l’écoutais toujours.

 

 

Partager cet article
Repost0
22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 09:06

 

Au début de mon activité clandestine, je ne disposais que de cette chambre passage Courtois, je travaillais (transport d’armes) uniquement sur la région parisienne. C’est à cette époque que j’ai été mise en rapport avec Rayman et Elek.

 


Le tout premier contact, ce fut par les camarades Ludwik et Bordeaux, qui sont ensuite partis en Pologne. Ce fut aussi Iosif Spira, (un ancien d’Espagne) qui lui aussi est parti en Pologne.

Enfin j’ai eu le contact avec Boczov, qui était mon chef, et Michel.

Ce premier rendez-vous a du se passer suivant la règle en vigueur, celui qui devait te présenter à un autre,  il te donnait rendez-vous dans le métro, telle station, telle direction, telle heure. Tu devais t’assoir, en tête du quai par exemple, tu voyais arriver le camarade avec l’autre, ce dernier venait s’assoir à côté de toi, et le premier partait sans parler ni attendre, toujours, respectant les consignes de prudence.

C’est Boczov qui m’a expliqué comment agir, être prudente, il fallait aussi que je prenne un autre nom, un pseudonyme. Alors j’ai voulu trouver quelque chose qui me rappelle mon mari, et j’ai dit «  Stanistsa ». Boczov a éclaté de rire, « ça veut dire gare, en russe, tu ne peux pas t’appeler comme ça ». Alors j’ai dit Marie, et c’est comme ça que Michel m’a connu sous le nom de Marie. Ce n’est que plus tard que je me suis appelée Catherine…

 

boczov


 


Quelle confiance aviez-vous vis-à-vis de vos responsable?
.

..Nous avions une confiance aveugle en nos responsables, les paroles de Boczov, c'était des paroles d'évangiles.

C’était un bon responsable, c’était l’esprit, qui ne se trompe pas, je l’écoutais bouche bée.fiance aveugle en nos responsables, les paroles de Boczov, c’était des paroles d’évangiles.

 

Connaissiez-vous les vraies identités de vos camarades de combat, que connaissiez-vous d’eux? Boczov, non, je savais qu’il avait été en Espagne, je l’ai su après. Michel oui, je le savais, il aimait l’Espagne, il m’en parlait, moi je lui parlais de Staczek.

Les contacts étaient plus chaleureux qu’avec les autres.

 

 

 

 

BOCZOV

Pourriez-vous raconter comment  vous vous êtes servie du landau pour vos activités?... l’histoire du landau ? Un jour, Michel m’a dit, il faut que tu viennes avec le landau  près des Buttes Chaumont, en face de l’hôpital Rothschild. J’arrive, avec le bébé dedans. Michel avait un paquet (de dynamite), il l’a mis dans le creux, et on est parti vers le dépôt, à pied, Michel marchait devant en protection…

Le samedi et le dimanche, j’allais dans l’Eure et Loir, voir ma petite famille, je prenais le train à la gare d’Austerlitz.

 

Pourriez-vous nous raconter des actions auxquelles vous avez participé ?…  Je me souviens d’une action à Paris, sur un pont de Paris, c’était avec Rayman et Elek. C’est Elek qui a tiré sur un officier allemand, celui-ci a continuer à marcher, c’était effrayant de voir ça. Elek a tiré plusieurs fois, finalement l’allemand c’est écroulé…Rayman assurait la défense, moi j’avais apporté les armes, et j’avais rendez-vous un peu plus loin pour reprendre le matériel. En général il y avait une grenade et un revolver, là il devait y avoir deux révolvers.

Je récupérais les armes, un des hommes marchait toujours devant moi, car il fallait aller à pieds au dépôt, où que se passe l’action, nous devions éviter le métro, à cause des rafles.

Il est arrivé une fois que je sois prise dans un contrôle, dans le métro, je n’avais rien sur moi, j’étais sortie faire des courses, j’avais oublié mes papiers, les flics français m’ont laissé passer quand je leur ai dit que j’habitais à côté.

Mes papiers étaient tout à fait légaux, au nom de DONNAY, la carte d’identité avait été établie quand j’avais 14 ans…

 
marcel RaymanElek thomas

Comment transportiez-vous les armes, où les cachiez-vous ?…  Pour transporter les armes j’avais un short sous ma jupe, avec une poche spéciale. Dès que je pouvais entrer dans un café je les cachais là.

 

Cela devait être angoissant ?... En général, j’avais confiance. La nuit, j’étais angoissé pour ma fille, je me demandais : « qu’est-ce qui va arriver à la petite si je tombe ? »

 

 

 

 

 

Marcel RAYMAN et Thomas ELEK

Vous ne craigniez pas de mourir ?…  Parfois aussi j’avais de la peine que Staczek soit tombé, et j’avais envie d’être tuée pour être près de lui. Je savais que la petite était avec Dasha, avec elle, elle ne manquerait pas de tendresse au moins, mais la nuit je rêvais sans cesse qu’il fallait nous cacher avec le bébé, et ça a duré des années et des années, des années même après la guerre.

Je rêvais tout le temps qu’il fallait fuir, que je ne savais pas où la mettre en sureté. La voilà l’angoisse qui est restée longtemps, très longtemps après. Et je rêvais aussi que les allemands m’arrêtaient, même plus tard, quand nous avons habité ici (à Drancy).

 

Vous n’aviez pas peur ?… ? Quand tu es dans l’action, tu n’as pas peur. La peur, elle vient quand tu fuis le danger, mais quand c’est toi qui attaque, tu as moins peur.

 

 

Donnez-moi un exemple ?…  Maintenant je vais te raconter ce qui est arrivé au petit ménage  (à Issy les Moulineaux),Missak MANOUCHIAN c’est anecdotique et tragique à la fois.

Rayman et Elek étaient chargés d’attaquer un camion allemand. Ce jour-là, c’est Elek qui jeta la grenade sur le camion, Rayman avait le révolver. Tout se passa bien pour nous, l’action avait réussie. Je récupérais le révolver de Rayman que j’avais apporté en même temps que la grenade. Rayman parti devant moi, pour me faire signe en cas de problème, et nous prenions le chemin du dépôt.

Mais sur la route, il y avait un pont à traverser. Et quand nous étions au beau milieu, qu’est-ce qu’on voit se déployer ? Des flics français. Rayman passe à temps. Elek était parti par un autre itinéraire, moi, quand j’arrive, les flics sont déjà déployés. Là, j’ai eu peur. Mais aussi, quelque chose me disait qu’il ne m’arriverait rien. En passant, je leur ai souri ; ils m’ont souri aussi.

Ils ne pouvaient pas imaginer, qu’il petite femme ronde, avec une tête de paysanne, pouvait transporter des armes. Je suis passé sans encombre. J’ai rejoint Rayman, qui m’attendait un peu plus loin. Là, j’ai eu le contre coup.

Rayman m’a fait entrer dans un café, il voulait à tout prix me faire boire de l’alcool, je lui ai dit « je n’en bois jamais, ça me rend malade ! » je suis allée aux toilettes remettre le revolver dans la poche de mon short, parce qu’il était encore dans la poche de ma veste au moment du passage devant le cordon de flics.

 

Quels furent vos premiers contacts avec l’état-major ?  …  Dupont était parmi les premiers que j’ai connus.

 

Comment étaient-ils ?…  Ils me paraissaient tous vieux, Dupont était aussi polonais, il avait peut-être 40 ans, en plus il était grand comme trois pommes à genoux. Il était pas beau, pas beau du tout.

Il était chargé de nous apporter la paye, les tickets d’alimentation, c’est aussi lui qui nous interrogeait au début, sur notre vie, qui nous expliquait ce que nous avions à faire… : ne pas bavarder, ne pas garder le contact entre nous, ne jamais connaitre les vrais noms, ni les adresses de personne. Il nous faisait passer au service des cadres, en somme.

Ce fut un des premiers avec lequel j’ai eu des contacts. Il était d’une sévérité excessive, mais justifiée…Il était intransigeant, j’étais disciplinée, je prenais tout ce qu’il disait à la lettre.

Quand il devait nous donner les sous, son agent de liaison nous indiquait le lieu et l’heure exacte de la rencontre. Nous venions, il nous remettait la somme et les consignes.

Je me souviens très bien, un jour, j’avais rendez-vous avec lui dans le sud de Paris. Lui me reprochait souvent de ne pas me retourner, de ne pas regarder attentivement autour de moi, de ne pas faire trente-six fois le tour des pâtés de maisons. Une fois arrivée sur le lieu du rendez-vous, il m’a fait des reproches véhéments : « ça fait un quart d’heure que je te suis et tu ne t’en es même pas aperçu ! » j’étais dans mes petits souliers, j’étais vachement gênée…

On avait suffisamment d’emmerdes avec les allemands, pas la peine de se faire engueuler en plus !

Dupont a toujours été très prudent, je ne suis pas étonnée qu’il en ait réchappé. On ne pouvait pas le prendre en filature. J’ai oublié son vrai nom, et aussi celui de sa copine qui était son agent de liaison, et qui devait, plus tard, devenir sa femme.

Il était rassurant de parler avec Boczov. Il écoutait ce que tu lui disais, et ensuite, très posément, il t’expliquait ce que tu avais à faire. Tu avais confiance, tu repartais, t’étais tranquille, t’avais juste à faire comme il avait dit, et tu étais sûre que cela serait bien.

C’est pour cela que j’avais confiance, une confiance aveugle. C’était le même sentiment avec Michel. Tout ce qu’il disait était parole d’Evangile. Il ne fallait pas revenir là-dessus. Je pense que les autres agents de liaisons avaient la même confiance dans ce que leur disaient leurs responsables.

 

Vous connaissiez d’autres agents de liaison ?...  Lucienne, j’ai eu longtemps rendez-vous avec elle et Dupont. Dupont, on l’a eu tout le temps, il était éternel, il n’avait pas, sur nous,  le même impact que Boczov et Michel.

 

Partager cet article
Repost0
21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 15:08

Interview de Madeleine OBODA née DELERS[1]

Avant de connaitre Staczek (lire Stachek) j’avais milité aux jeunesses communistes en Belgique. Je suis arrivée à Paris en 1939, au moment de la guerre. Je venais de terminer mes études en dessin publicitaire aux Art-Déco de Bruxelles.

Je suis revenue en auto-stop, ma mère était morte, et mon père s’était remarié, sa nouvelle femme ne tenait pas tellement à ce que j’habite chez eux ;

J’avais 20 ans, au début je pensais aller chez mon père, puis comme ma belle-mère ne voulait pas que je reste à la maison j’ai travaillé. J’ai travaillé dans la métallurgie, j’avais d’abord cherché du travail dans mon métier mais c’était la guerre, on n’avait pas besoin de dessinatrice en publicité.

   

J’étais triste aussi à cause de cette situation, mais indépendante.

Je suis donc devenue riveteuse pour gagner ma vie, puis j’ai cherché à prendre contact avec le PC.

Quand il y a eu ce drame avec ma belle mère qui ne voulait pas que je reste, j’ai pris mes affaires et je suis partie. Mon père habitait dans le 13ème, d’abord j’ai loué une chambre dans un hôtel près de chez lui, puis un autre dans un hôtel près du Père-Lachaise. Mon père était malheureux. Le parti était illégal, ce n’était pas facile.

J’ai travaillé longtemps comme riveteuse, jusqu’à la débâcle.

Après la débâcle j’ai trouvé un nouveau logement à Puteaux, c’était une petite chambre avec kitchenette, les WC étaient dehors. Cette chambre je l’ai ensuite prêtée à une copine dont le mari revenait de la guerre d’Espagne, elle voulait absolument vivre avec lui et ils n’avaient pas où aller. Je lui ai donc prêté cette chambre et je suis allée vivre chez une copine à Paris.

 

En Belgique, avant la guerre, Staczek était connu comme un militant extraordinaire, il avait été en Espagne, il bénéficiait d’un grand prestige. A l’époque je ne le connaissais pas personnellement.

C’était un mineur polonais qui travaillait dans les mines du Nord, depuis plusieurs années, il militait au PC aussi, tout le monde autour de moi en parlait avec admiration.

Pendant qu’il était prisonnier au camp de GURS je lui avais écrit, j’avais un filleul dans ce camp, je correspondais avec lui, et j’écrivais aussi à Staczek.

Après son évasion du camp, je l’ai rencontré à Paris. La première fois que je l’ai vu ça devait être chez des amis polonais. Il avait 10 ans de plus que moi. Il était très sympathique et bénéficiait du prestige de quelqu’un de très combatif.

Je suis allée vivre quelques temps avec lui dans l’hôtel ou il habitait. Puis j’ai essayé de récupérer ma chambre à Puteaux parce que la copine chez laquelle je logeais était scandalisé que nous ayons apporté du papier pour les tracts clandestins chez elle, ce qui la mettait en danger.

Que faisiez-vous?..[2].

  Je travaillais. Je faisais un peu de tout, grâce à mes amis polonais je travaillais dans un atelier de couture, confection, finition. Ce n’était pas mon truc mais j’avais appris.

Et puis j’ai fini par récupérer mon logement à Puteaux et nous y avons vécu avec Staczek un an.

Jusqu’à ce qu’il soit pris. Donc de décembre 1940 à février 42. Au moment où il s’est évadé de GURS, il avait juste un faux certificat de démobilisation.

Comment était la vie quotidienne?..Numériser0003

la vie quotidienne ? on s’est marié pour qu’il puisse avoir des papiers en règle, parce qu’il n’avait qu’un permis de séjour qu’il devait renouveler tous les trois mois.

Il n’a jamais eu de carte d’identité, puisqu’il a été arrêté. Son vrai nom était Oboda.

Pourquoi veniez-vous de Belgique?... si je suis allée habiter en Belgique avant tout ceci, c’est que ma mère étant décédée, mon oncle qui était dans le milieu artistique avait tenu à s’occuper de mon éducation. Mais je ne suis pas restée très longtemps chez lui, il y avait des problèmes avec sa femme.

A Puteaux, quand je vivais avec lui, je ne savais pas ce que faisait Staczek, il militait toujours dans le Nord, j’ignorais la nature de son travail, même si je connaissais beaucoup de ses camarades, puisque c’étaient aussi les miens.

Au moment où il a été fusillé, ses camarades sont venus me voir, en l’occurrence Iosef SPIRA, qui est venu me trouver à Puteaux pour me demander si je voulais entrer dans la Résistance.

Je ne demandais que ça.

Mais entre-temps j’avais eu un bébé.

N’aviez-vous pas peur que votre mari ou vous soient arrêtés par les allemands?... un jour la police allemande est venue chez moi. J’étais au marché à ce moment, j’avais laissé le bébé à la maison (la fillette avait 3 mois). Je vois des voisin qui viennent à ma rencontre et me disent :

_ « Madame, les allemands sont entrés chez vous », j’avais l’habitude de toujours laisser la clef sur la porte, à cause du bébé. Ce matin-là, Staczek lui aussi était parti à ses rendez-vous, il m’avait dit qu’il reviendrait par tel bus à tel endroit, il devait rentrer, mais nous n’avions pas fixé de rendez-vous précis.

J’ai d’abord demandé aux voisins s’ils ne voulaient pas attendre Staczek à la station d’autobus, mais ils ont refusés. J’ai donc décidé de ne pas revenir chez moi, mais d’attendre Staczek jusqu’à son retour. Il est arrivé et je l’ai prévenu : « ne rentre pas à la maison, les allemands y sont, les voisins m’ont prévenus ». Donc il était relativement sauvé, il avait échappé à l’arrestation.

Quand je suis revenue chez nous, les policiers allemands (en uniforme) avaient tout démantibulé dans la chambre, ils avaient démonté le poêle, vidé la caisse de sable contenant des carottes, tout était sans-dessus dessous, même le lit du bébé. Quand je suis entrée, ils m’ont dit _ «  en voilà une mère  qui laisse son enfant, comme ça !... » Ils ont voulu m’interroger, mais je leur ai dit que mon mari n’était plus là, qu’il travaillait en Allemagne. Alors ils n’ont pas voulu me croire. Je leur ai dit que je ne savais rien, qu’il m’avait quitté. J’ai tout nié. Ils sont partis. Plus tard, Staczek a essayé de me joindre, il ne fallait pas, ce n’était pas prudent.

Il est allé se réfugié chez un ancien des Brigades, j’ai oublié son nom. C’était aussi un polonais, mais c’est lui qui l’a livré aux allemands.

Je n’ai appris tout cela que par la suite, par Dasha, une camarade juive, dont le mari avait été également arrêté.

Donc j’ai finalement su qu’il avait été arrêté, de toute façon il n’y avait plus de nouvelles, plus rien.

Je suis restée sans nouvelles de lui très longtemps, jusqu’au jour où il a envoyé un gardien de prison, un polonais, qui m’a demandé si je pouvais lui envoyer une lettre, j’en ai profité pour donner différentes choses. Je n’ai plus rien su, sauf quelques temps avant qu’il ne soit exécuté.

Le mari de Dasha était à la prison du Cherche-midi, et moi je suis allée porter des valises avec des vêtements de rechange à la prison de la santé, et du cherche-midi, j’avais glissé des petits papiers dans les ourlets de sa chemise, quand on m’a rendu le linge, les papiers y étaient toujours, il n’avait pas eu l’idée de les chercher.

Un jour, on a refusé de prendre la valise. Cela voulait dire qu’ils l’avaient pris, qu’il était en danger.

Un jour du mois d’octobre 42, je me trouvais à la maison, je tricotais des pulls pour gagner ma vie, il fallait aussi que je garde le bébé, la police, (un civil) est venu me dire qu’ils l’avaient fusillé, on m’a rendu ses affaires.

Les voisins disaient : «  tant que vous ne voyez pas cela écrit noir sur blanc, vous ne devez pas y croire », quelques temps, je n’y ai pas cru.

Mais seulement au moment où ses camarades sont venus me demander : « est-ce que tu veux entrer dans la Résistance, tu feras le transport du matériel, tu seras agent de liaison… » Alors tout d’abord j’ai dit « mais le bébé, qui va s’en occuper ? » Ils m’ont dit «  t’en fais pas, on va trouver quelqu’un pour le garder. »

La première chose que j’ai eu à faire, presqu’immédiatement, le lendemain du jour où j’ai reçu les camarades, j’ai eu à transporter un revolver. Tout de suite on m’a mise dans le bain, on m’a donné un révolver à ranger chez moi, alors que la police avait déjà connaissance de mon adresse.
On m’a dit aussi : «  tu vas recevoir une solde militaire. Je crois que ça tournais autour de 1000 francs à l’époque. » Ce n’était pas beaucoup, juste assez pour vivre, juste assez.

Alors j’ai fait venir tout de suite Dasha, la femme d’un ami qui avait été envoyé dans un camp de concentration. Dasha était restée seule avec son petit garçon, qui avait deux ans à l’époque.

Dasha qui était juive et clandestine, est venue dans cette maison déjà suspecte, ce n’était pas très prudent.

Mais bientôt les camarades m’ont dit de déménager «il ne faut pas que tu restes ici, tu dois prendre un autre logement sous un autre nom… »

Alors j’ai joué une chambre 10 passage courtois.

C’était encore moins confortable qu’à Puteaux, il n’y avait pas l’eau courante, juste le gaz, la chambre était au deuxième étage. Nous avons vécu là-dedans, Dasha, les deux enfants et moi. On dormait à trois dans un lit de 80 centimètre, tête bêche, la petite Nadja dans son berceau.

A ce moment, moi je m’occupais déjà de transport de matériel. Comme il fallait bien ranger le matériel quelque part, c’est là aussi que je l’entreposais.

C’est jusqu’à l’entrée de ce passage que Michel m’accompagnait, en protection, quand nous avions un transport à effectuer, il marchait devant moi dans les rues, mais il s’arrêtait devant le passage, et il n’a jamais connu l’adresse exacte.

Donc, la dynamite était sous le lit, les détonateurs pas très loin. On était complètement inconscientes du danger, avec ça, nous aurions pu faire sauter tout le quartier !...

Ceci, jusqu’au moment où Dasha, qui était un peu plus âgée que moi, c’est rendue compte combien tout était trop risqué, surtout avec les deux enfants, elle m’a fit «  il faut absolument trouver autre chose ». Un jour, Dasha c’est mise à pleurer, c’était trop dur de vivre comme ça. Après tout ce qu’elle avait connu, le fascisme, moi je bénéficiais d’une méconnaissance du danger. J’étais contente de militer, de participer à la lutte. Elle en savait plus que moi là-dessus, et elle m’a dit : « je ne veux plus vivre comme ça, avec les enfants, la dynamite sous le lit, et s’il t’arrive quelque chose… »

C’est encore un ami polonais, un certain Roman, un sympathisant, qui nous a trouvé un logement, à A., dans l’Eure et Loir. C’était une chambre assez grande, avec une grange. Dasha est partie s’y installer avec les deux enfants, nous avons emporté toutes leurs affaires, je l’ai accompagné. Elle tricotait des pulls, pour les paysans, en vrai laine, pas en angora comme pour les allemands. Elle faisait ça pour vivre, et je lui donnais une partie de ma solde, de manière à ce qu’elle puisse s’en sortir, avec les deux enfants à nourrir.

Nous avions déjà l’habitude de tricoter, nous avions gagné notre vie un certain temps avec ça… (Histoire des pulls angoras)[3]

 [1] Malheureusement, il n’y a ni la date, ni le nom de l’interviewer, ni même les questions qu’il pose.

[2] Pour une lisibilité plus fluide, je prends le parti de recréer les questions, en fonction des réponses donnée,  car elles  sont absentes du document d’origine.

[3] Cette histoire ne figure nulle part dans les textes de Madeleine, ni dans cette interview.

 

(l'interview étant très longue LA SUITE DEMAIN...)


Partager cet article
Repost0
9 septembre 2011 5 09 /09 /septembre /2011 14:21

Le 7 juillet 2011 j’ai écrit dans mon cahier :numerisation0298.jpg

J’ai enfin pu aller chez ma tante  pour scanner les archives de la résistance de ma grand-mère.

J’en suis fort émue. D’autant que ma tante c’est mise à ma disposition, recherchant des lettres, des photos pour moi. De plus, elle m’a écouté, parfois surprise de ma passion, de l’avancement de mes recherches.  Je ne prétends pas être une érudit de la question, bien au contraire, car plus on cherche et plus on se pose de questions, mais je m’attache à retracer l’histoire de Stanislas et Madeleine, du coup, même des détails insignifiant me semblent parfois dignent d’intérêt car ils ont fait leur quotidien.

Bref, j’ai trouvé des trésors ! Madeleine conservait précieusement des photographies de Stanislas durant la guerre d’Espagne, et en particulier, des photos qui me semblent être des camps de Saint Cyprien et de Gurs ! des photos inédites !

J’ai envoyé des copies à l’amicale du camp de Gurs pour confirmation, et il semble bien que cette découverte ait un sens pour eux aussi.

Il y a par ailleurs, les manuscrits de Madeleine. Il y en a beaucoup, souvent qui répètent la même histoire de son entrée dans la Résistance en octobre 42, un mois seulement après la mort de Stanislas, avec plus ou moins de précision selon les textes. Parfois ils sont raturés, parfois les mots sont illisibles, j’arrive quelque fois à deviner, d’autres fois non.

Elle raconte son travail d’agent de liaison avec BOCZOV et MICHEL ; puis, RAYMAN et ELEK, et aussi avec MANOUHIAN. 4 d'entre eux furent de l'affiche rouge...

Je suis très excitée de ces trouvailles, car elles permettent de mieux comprendre ce qu’elle ne racontait pas, ou peu. Je connaissais quelques anecdotes, qu’elle nous contait avec amusement, elle ne racontait pas la peur, les enjeux, l’inconscience, le frôlement plus ou moins recherché de la mort.  Elle ne disait pas l’irrationnel désir de retrouver Stanislas, la tristesse sans fond dans laquelle elle plongeait parfois. Alors que ces récits, eux, évoquent pudiquement, ces parcelles d’elle.

Parmi ces manuscrits, Il y a un texte, particulièrement émouvant. C’est une lettre d’amour posthume qu’elle écrit à son mari, 50ans après sa mort. Elle y raconte leur rencontre, cette étincelle de bonheur entre eux, la tendresse, l’amour, resté en suspend malgré les années. Lucide, elle sait que cette beauté, cette pureté, aurait pu s’entacher du quotidien s’ils avaient vécu plus ensemble, mais comme ce bel amour lui fut arraché en plein vol, elle s’est nourrit de ce feu, de ce qui fut et aurait pu être,  pour poursuivre sa route. Elle me fait penser à une Juliette sans son Roméo ou à une Iseult sans son Tristan…ces amours fulgurantes, passionnelles qui vous consument et vous ravissent l’âme.

Pourtant elle a eu une vie après, d’autres amours, mais il semblerait que le seul qui revint hanter son âme  Stanislas et son doux regard gris.

Elle connut la réputation de Stanislas avant même de le rencontrer. Car, et je ne sais toujours pas pourquoi ni comment, elle fréquentait la communauté polonaise belge. On  entendait donc parler d’un certain « Stanis » militant, persuasif et combattant, dévoué camarade.  Il jouissait d’un grand prestige auprès de Julia Pirotte, et de sa sœur Maria elles aussi immigrés polonaises échappés de justesse des jaules polonaises pour activisme communiste. Julia devait être dithyrambique, au point que Madeleine cru qu’il existait des relations plus tendres qu’amicales entre eux. Est-ce Madeleine qui, jalouse, le pensa ou Julia qui entretint cette illusion ? je n’en sais rien.

Comment devint-elle marraine de prisonniers de GURS ? Encore une question sans réponse sinon des suppositions : je pense que c’est grâce à la section du parti communiste que l’on sollicita les jeunes femmes pour soutenir le moral des prisonniers brigadistes. Connaissant Madeleine, sa générosité et son enthousiasme, je ne doute pas qu’elle accueillie cette proposition avec ferveur. Elle fut  donc  marraine d’un autre prisonnier, un polonais je crois, un ami de Stanislas sans doute.  Elle racontait que ce camarade lisait ses lettres à voix haute, afin de partager les nouvelles. Le courrier prenant une importance considérable au camp. C’est alors que Stanislas aurait demandé à son ami la permission d’écrire lui aussi à cette marraine bien sympathique.  Ceci est la version que j’ai toujours entendu raconter, mais dans la lettre posthume qu’elle adresse à mon mari, il semblerait que ce soit elle qui ait pris l’initiative d’écrire à ce prestigieux Stanislas dont elle avait entendu parler… qui saura ? et puis quelle importance ?

Elle dit qu’elle ne cessait de donner des nouvelles de Julia à Stanislas, ce qui l’agaçait beaucoup, il aurait préféré qu’elle lui parlât d’elle, et seulement d’elle. Il avait demandé une photographie…et elle était très belle. S’enthousiasmait-elle autant de tout ce qui pouvait éveiller la conscience et l’âme ? J’ai toujours été admirative de cette jeunesse d’esprit, de cette écoute, de ce désir d’apprendre, de cette altérité chez ma grand-mère. Je ne la vois pas autrement, même plus jeune. Peut- être plus naïve, plus impétueuse. Est- il tombé amoureux dans cet échange épistolaire ou en la rencontrant à Paris,  fin 39 ? Ce que Madeleine disait, c’est que les lettres devenaient de plus en plus tendre, de plus en plus intimes, et quand enfin ils purent se voir, dans un café, en compagnie de Maria DJAMENT (la sœur de Julia) et un autre camarade, les yeux qu’il posait sur elle, étaient plein de tendresse. Il chercha à la revoir, vint plusieurs fois manger chez elle le peu qu’elle avait avant d’aller à la cantine ouvrière. il avait toujours très faim. Et puis un jour, il n’est pas reparti…

Dans d’autres manuscrit, elle décrit des actions de Résistance, des frayeurs qu’elle a eu, des tracas, elle parle avec tendresse de ses « petits frères » Marcel Rayman et Tomas Elek, de 18 et 20 ans. Elle parle de la gentillesse de Manouchian, la réconfortant quand elle était triste, lui promettant des jours meilleurs, dans un après-guerre proche et rayonnant.  Elle raconte le manque, de son mari, de son enfant qu’elle dut placer loin d’elle et des dangers.

C’est à la fois terriblement émouvant et une mine d’informations.

J’ai passé une bonne partie des vacances à retranscrire ces manuscrits afin de pouvoir les exploiter, mais aussi les partager.  Ainsi, j’ai pu reprendre mon écriture, et ouvrir d’autres pistes de recherches. Me reste à travailler tout ça.

Partager cet article
Repost0