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24 septembre 2011 6 24 /09 /septembre /2011 09:14

 

Comment viviez-vous le veuvage ?

Je m’imaginais toujours que Staczek n’était pas mort, ce n’était pas possible qu’il soit mort. Pour Dasha, son mari avait été déporté, elle ne savait rien de lui. Nous nous disions ce n’est pas possible, ils reviendront, alors on pleurait.

Quelques fois, Dasha prenait un bout de ficelle, un anneau et faisait un pendule qu’elle tenait au-dessus d’une photo de son mari, si l’anneau bougeait, cela voulait dire qu’il était encore vivant. Alors nous étions là, comme deux imbéciles, chacune avec son anneau, sa ficelle, sa photo, pour voir si nos mari étaient en vie, et nous nous encouragions : « tu vois, mais si ! il bouge l’anneau ! ». Nous étions communistes, quand même ! Nous n’aurions pas dû croire à des bêtises pareilles ! Mais nous nous raccrochions à n’importe quoi.

Et si la photo jaunissait, Dasha soupirait : «  c’est mauvais signe… »

 

Qu’est devenue votre amie Dasha ?

Après la guerre, elle est repartie en Pologne, mais en 1944, elle est entrée dans la résistance active. Les polonais, Roman, ont bien voulu garder son petit garçon, mais pas ma fille, ils trouvaient que deux enfants c’était trop.

C’est à ce moment-là que j’ai emmené ma fille avec moi dans le Maquis, au mois d’août 1944, je l’ai prise et je suis partie à Monceaux-les-mines.

Tant que Dasha s’occupait des deux enfants, je n’étais pas trop soucieuse.

 

Numériser0007

Après la chute de 1943 (novembre)[9] je suis devenue agent de liaison en province, en Normandie surtout, où se trouvaient des groupes soviétiques, d’italiens et de polonais.

Je faisais la route à bicyclette, il n’y avait pas d’hôtel pour dormir.

Je mettais 4 jours pour aller de Paris à Dijon de cette manière. Paris-Dijon, Paris-Monceaux-les-mines. J’étais un bon cycliste, je faisais 100 km par jour, autrement c’était trop épuisant.

Là je dormais dans des hôtels. Dans certains d’entre eux, je croisais des gens qui prenaient le frais, ils venaient se distraire à la campagne, tout à fait en dehors du coup. Et ça m’exaspérait de voir des gens en vacances, qu’ils ne puissent même pas se rendre compte de ce qui se passait autour d’eux. Pour nous, en temps de guerre, il n’était pas question de vacances !

Je me souviens, dans le Morvan, dans une petite gare, j’ai vu une famille, le monsieur faisait des au-revoir à sa femme 


C’était en été. A l’époque où je faisais la liaison soit en vélo, soit en train. Mais en 44, il n’y avait plus de trains réguliers.et ses enfants qui restaient, heureux, détendus, bien habillés, bronzés. Le papa qui partait, sa femme lui disait : « tu reviens samedi… » Et lui : « oui oui, tout de suite après le bureau, je serai là ». J’écoutais, et j’enrageais !

 

La première fois, je suis venue dans cette région par le train, avec ma gosse que je ne savais pas où caser. Les camarades de Monceaux-les-mines, se sont chargés de la placer. Mais la petite n’était pas bien dans cette maison qu’ils avaient trouvée. La jeune femme qui devait s’en occuper, ça n’allait pas, un jour, je suis revenue, la petite hurlait. Je l’ai reprise et je suis partie pour le maquis avec ma fille dans un panier, sur le vélo. Je l’ai emmenée, et je me suis trouvée dans un camion, avec de chaque côté un maquisard armé d’une mitraillette, et moi, avec ma fillette dans les bras. C’est un souvenir terrible. Je me disais, si nous sommes attaqués, mon enfant allait être tuée. C’est un des souvenir les plus affreux.

 


Cela a duré combien de temps ?

Pendant toute une journée, jusqu’à ce que nous trouvions des gens qui veuillent bien la prendre. Je me suis quand même vue dans un camion avec des maquisards armés…

 

 

Toujours ce même Roman me dit un jour : « je peux vous fournir un fusil-mitrailleur » je transmets le message à Michel qui répond « il faut voir ça avant ». C’est à cette occasion, je crois, qu’il est venu pour la première fois chez Dasha, avec moi. Donc Michel et moi venions voir le FM chez Dasha, où il se trouvait. Il faut dire que Roman avait toujours été très chic avec nous, il fournissait de la farine, des aliments à Dasha et aux enfants, il partageait tout ce qu’il avait.

On voir le FM, Michel l’examine et dit qu’il est bon, on doit l’emmener.

 

Comment l’avez-vous transporté ?

 Enroulé dans un tapis, tu vois un peu comme celui-ci. On l’enroule, mais c’est que ça pèse lourd un FM ! Au moins 8 à 10 kg ! Et qui doit le porter ? Moi, bien entendu, puisque je suis agent de liaison, responsable du transport, chargée du matériel, c’est le cas de le dire !

Durant la journée j’avais joué avec ma fille, je lui avais donné tout ce qu’il y avait dans mes poches. Puis, on part à la gare, avec Michel, qui, sur le chemin me donne quelques consignes : « tu laisses le FM dans le filet d’un compartiment et tu vas t’assoir dans un compartiment voisin, si quelqu’un vient, tu ne sais pas, c’est pas toi » et nous voyageons dans un compartiment différent, on ne sait jamais.

Nous descendons dans une petite gare, un peu avant Austerlitz, et nous faisons le trajet à pied jusqu’au passage Courtois. C’était vraiment très lourd, j’en avais marre du tapis, du FM… quand nous arrivons à l’entrée du passage, je pousse un soupir de soulagement. Fidèle à ses habitudes, Michel s’en va. Je monte enfin les deux étages avec mon fardeau, je veux prendre mes clefs dans ma poche, plus de clefs ! Quand ma fille avait joué cet après-midi, elle avait dû 

s’emparer de mes clefs ! Pas moyen d’entrer dans le dépôt. Et bien entendu, c’était dimanche, pas évident de trouver un serrurier. D’ailleurs, je ne savais pas où chercher, je ne pouvais pas non plus laisser le FM sur le palier, les voisins pouvaient avoir la curiosité de regarder dans le tapis. Je reprends le tout, et me voilà partie à la recherche d’un serrurier dans le quartier du Père-Lachaise ! J’en trouve enfin un, rue de la Roquette. Il veut bien venir avec moi. En un clin d’œil, il ouvre la porte, bien que ce fut un dépôt d’armes, elle s’ouvrait facilement cette porte ! Il me dit d’ailleurs : « elle est pas difficile à ouvrir votre porte ! » moi je pose aussitôt mon chargement sur la table, le serrurier commence à bavarder, il me dit tout en s’appuyant sur le tapis : « vous en faites pas, ma petite dame, parce que les allemands, il n’y en a plus pour très longtemps, des hommes décidés et des armes, il y en a plein en France ! » et il ponctuait les paroles de son discourt patriotique avec des coups réguliers sur le tapis fourré au FM ! Je me disais, à force de frapper du plat de la main sur le tapis il allait s’apercevoir que c’était un peu dur pour un tapis… Je l’ai payé vite fait, et j’ai eu hâte qu’il s’en aille.

Après ça, il a fallu encore le transporter ailleurs ce FM, car ce n’est pas la finalité d’un FM de rester caché dans un tapis, en temps de guerre… mais je ne sais pas qui l’a utilisé.

 

 

___________________________________________________________________________

 

 


[1] Malheureusement, il n’y a ni la date, ni le nom de l’interviewer, ni même les questions qu’il pose.

[2] Pour une lisibilité plus fluide, je prends le parti de recréer les questions, en fonction des réponses donnée,  car elles  sont absentes du document d’origine.

[3] Cette histoire ne figure nulle part dans les textes de Madeleine, ni dans cette interview.

[4] Certainement une note de l’auteur de l’interview, mais le complément n’existe pas dans ce document.

[5] Il n’y a pas de suite à cette phrase, ni de complément d’explications.

[6] Pas de suite.

[7] Non complété.

[8] idem

[9] Arrestation du groupe Manouchian le 17 novembre 43

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commentaires

G
<br /> J'ai connu Madeleine à Drancy. Laurence était mon amie. J'ai travaillé aux archives<br /> <br /> <br /> départementales de la Seine-Saint-Denis , lors de recherches dans la presse locale, qui n'avaient rien à voir avec Madeleine, je suis tombée par hasard, sur une interview de Madeleine. Impossible<br /> de resituer la date de cet article. Je vais peut-être essayer de remettre la main dessus. J'aimerais bien avoir un contact avec Nadiane si elle le souhaite. Jak<br />
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N
<br /> <br /> en effet j'aimerai beaucoup lire cet article dont vous parlez. vous pouvez me contacter en privé en cliquant sur "contact" sur la page du blog,dans la colone de  droite dans la rubrique "qui<br /> suis-je?"<br /> <br /> <br /> vous aurez ainsi accès à une page pour écrire un mail avec votre propre adresse, qui je recevrai sur ma boite. <br /> <br /> <br /> à bientot <br /> <br /> <br /> <br />
G
<br /> J'aimerais avoir la suite de l'interview de Madeleine Oboda. Pourquoi, je suppose, sa petite fille arrête-t-elle son texte?<br />
Répondre
N
<br /> <br /> je l'arrête ici car il n'y a pas de suite, malheureusement! j'ai repris tout ce texte dans son intégralité. j'aurais moi même aimé qu'elle en dise plus!<br /> <br /> <br /> <br />