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12 mars 2024 2 12 /03 /mars /2024 07:50

Elle a perdu son porte-monnaie, ou bien on le lui a volé. Elle cherche dans son sac, non, il n’y est pas. La boulangère a déjà emballé la baguette dans un papier fin, aux couleurs de son fournisseur de farine, elle l’a même scotchée. Elle attend le paiement avec ce regard blasé, presque indifférent. Phyllis, devient écarlate.  Elle fouille encore les profondeurs de son sac, mais pas même une pièce d’un euro ne vient la sauver. Elle y tâte pêle-mêle, des crayons graphites plus ou moins gras, un carnet d’esquisses déjà bien entamé, des élastiques pour ses longs cheveux noirs, sa carte d’identité, sa carte d’étudiante, sa carte de bus, sa carte d’entrée annuelle aux musées, son dossier en cours, son téléphone, mais pas une piécette.

Elle se souviens que la veille, elle avait vidé cette menue monnaie dans la « boite à projets », sur le coin de son bureau, elle espérait ainsi s’offrir, à force de persévérance, une mallette de 48 feutres très spéciaux mais un peu coûteux, ou ce carton à dessin à rabats, qui lui faisait de l’œil dans la vitrine de cette boutique de matériels et fournitures des beaux-arts. Elle va bredouiller : un « je suis déso… » quand un bras passe au-dessus de son épaule et dépose sur l’assiette à monnaie, le prix de sa baguette, en plus d’une voix si profonde, si grave qu’elle raisonne jusque dans sa poitrine, qui dit :

–          c’est bon c’est payé.

Elle se tourne au ralenti vers l’homme, pleine de gratitude, stupéfiée de ce geste si généreux. Lui, il a un petit sourire en coin, lui jette un regard de quelques secondes, puis s’adresse à la boulangère par-dessus sa tête,

_       Une pour moi aussi 

 Il ajoute une 2ème pièce à la première, saisi les 2 baguettes et le bras de Phyllis l’entrainant vers la sortie. La queue devant la boulangerie s’est indubitablement allongée. Elle se laisse faire, sans réagir. Elle est comme pétrifiée.

Sur le trottoir il lui tend son bien 

_       Mathieu, pour vous servir ! il esquisse une révérence le sourire en coin.

Elle ferme les yeux. Cette voix encore, qui la fait frémir de la tête aux pieds. Elle sourit, soupire, ouvre un œil, puis l’autre, reviens à la réalité, et réalise enfin ce que cet homme vient de faire pour elle

–          merci, je… je suis confuse, vous n’aviez pas à… je vous dois… je crois que j’ai oublié mon porte-monnaie, ou bien je l’ai perdu, ou encore… peut être qu’on me la volé, il me semble... ce matin je l’avais et… 

Elle ne sait plus où se mettre, ses joues sont en feu, une goutte de sueur lui glisse le long du dos. Long frisson, mais de quoi ? Il est mignon ce gars-là.

Il a craqué le quignon et le croque tranquillement, ses yeux sont plissés, des yeux noirs, profonds, il semble amusé de cette situation. Il propose d’aller boire un café, juste en face. Elle le suit sans réfléchir, puis soudain stoppe au milieu du boulevard,

–          mais enfin non ! je n’ai rien pour payer ! 

–          je vous invite voyons ! avancez, si non, vous n’y goutterez jamais si vous êtes renversée.

 

Ils sont face à face, dans ce bistro rétro, autour d’une minuscule table ronde sur des chaises en bois tourné. Elle, toujours confuse, rougissante, le nez dans sa tasse. Lui, adossé, remuant, bras tendu, ses deux sucres dans son expresso. 

_          Et vous allez souvent à la boulangerie sans un sou vaillant, où c’était pour que je vous sauve la mise seulement aujourd’hui ? demande-t-il de sa voix de basse profonde.

 Sans réfléchir, elle répond 

_           J’adore votre tessiture, elle me rentre dans la peau comme une caresse, elle vibre dans l’air et me fait frissonner, mon papa avait une voix comme ça je crois, je pense que je pourrai vous épouser juste pour entendre votre voix tous les jours que Dieu fait.

Puis elle lève les yeux vers lui, toute étonnée d’avoir osé livrer ses pensées tout haut. Il la dévisage, interloqué par cette déclaration impromptue et répond tout sourire

–          Samedi prochain, si vous êtes libre, mais peut être que je devrais savoir votre prénom pour publier les bans ? 

 Elle éclate de rire, rejetant sa tête en arrière, puis ramenant d’une main sa chevelure sur son épaule gauche, elle se présente :

–        Phyllis, étudiante aux beaux-arts, 21 ans, célibataire, saine d’esprit, encore que l’on pourrait en douter depuis quelques minutes, fauchée, résidente d’une chambre universitaire à deux pas d’ici. Est-ce suffisant pour les bans ? 

Il sourit conquis.

_         Phyllis… telle la fille du roi de Thrace, et je serais alors Acamas… murmure-t-il rêveur, il ajoute : Phyllis, je sais que vous habitez le quartier, je vous vois passer souvent, avec ce carton à dessin qui n’a plus d’âge, et votre démarche de fée, hors du temps et des contingences des pauvres terriens que nous sommes. Je suis tombé amoureux de vous dès la première fois, il y a déjà quelques semaines. Vous ne m’avez même pas jeté un grain de votre poudre magique. J’ai espéré, chaque jour, et ce matin, j’étais juste derrière vous, les augures étaient bons, vous aviez besoin de l’aide d’un humain et ce fut moi.

Elle a fermé les yeux, pour se bercer de ces sons de basses qui l’emprisonnent d’un vent de félicité, elle n’écoute pas vraiment les mots, mais la mélodie, elle se laisse aller sur le dossier de sa chaise, et ronronne de plaisir.

_          Je dis oui, murmure-t-elle envoûtée.

Un long frisson lui fait rouvrir les yeux et découvrir l’intensité du regard de cet homme posé sur elle. Elle tend la main, pour le toucher, vérifier si ce n’est pas un mirage. Il saisit cette main, l’embrasse à la polonaise, respectueusement, sur le dessus.  Regard intense, elle interroge

–          Qui est Acamas selon vous ?

–          Hum…dit il pensif, c’est un homme inconstant, promettant son amour sans mesurer le poids de ses promesses, il en paiera le prix, bien fait pour lui. 

Elle laisse le silence s’installer, le regard ailleurs, puis lentement se tourne vers lui,

_          Si je suis votre Phyllis et vous êtes mon Acamas, se pourrait-il que vous me fassiez mourir de chagrin ? 

_          Vous connaissez assurément la légende, n’est-ce pas ?  Elle le regarde, droit dans les yeux soudain grave  

_          On ne porte pas un prénom pareil sans en connaitre toutes les nuances,

_         N’oubliez pas que je me nomme Mathieu, dont le sens est le don de Dieu, je vous promets l’éternité de ma passion, je vous offre mon cœur tout près d’exploser, gonflé qu’il est du bonheur de vous connaître. Je ne saurais vous faire la moindre peine tant mon amour vous est acquis. 

_           Alors, embrassez-moi belle âme, je suis à vous.

C’est ainsi, qu’une fée lumineuse et légère entrepris de lier son destin à une voix de basse au sourire en coin ravageur, sur un chemin d’imprévus, de grandes joies et de petits tracas ordinaires, pour un temps que l‘on ne peut compter.

 

 

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