
chapitre 34 Stanislas (extrait)
septembre 32
(...)Le lendemain il est emmené et tout le monde sait que ce n’est pas pour des jours meilleurs. La radio-wc s’active, tout le monde est mis au courant qu’on emmène des prisonniers. En quittant la prison, les camarades restés en cellule chantent la Marseillaise, toute la prison résonne de leur voix. Il sent cette solidarité qu’il a longtemps cultivé lui-même et il sent en lui cette chaleur fraternelle envers tous ces gens, il ne les connait pas, mais ils lui disent de garder la tête haute, de ne pas flancher. Ils sont une dizaine, emmenés dans un bus jusqu’à une autre prison, sur les hauteur de Paris, dans un fort[1], aménagé pour le transit des prisonniers vers la mort. Ils y retrouvent d’autres prisonniers, majoritairement des camarades, comme eux, engagés dans la lutte pour libérer la France du nazisme. On les pousse dans une casemates humide et froide fermée devant par une portes en fer sur laquelle a été tracé, en blanc le numéro 22. Lui, s’effondre sur une vieille paillasse humide. Il a de la fièvre, il frissonne. Un camarade, lui apporte de l’eau et tente de le faire boire. Mais son estomac martyrisé par les coups de bottes, ne supporte pas, il régurgite douloureusement. L’homme lui parle en polonais, c’est doux à son oreille. Il murmure les prénoms Nadjuszka[2], et Madeleine. Il ferme les yeux, tente de se rappeler les jours heureux, de repousser la peur, la douleur, les délires fiévreux, en murmurant ces prénoms si doux. Le sommeil le surprend, sans crier gare, un sommeil lourd, d’épuisement, néanmoins agité.
Quelques jours plus tard, on les déplace dans une autre pièce au 2ème étage du bâtiment central du fort, dans une chambre. Ils s’y entassent à près de 50. Stanislas se cale dans un coin, rester debout est douloureux.
Un après-midi, Le sonderführer Trappe fait l’appel, il annonce que ceux qui seront appelé iront passer la nuit dans la casemate 22, ça n’augure rien de bons. Les hommes se regardent inquiets. Comme il a du mal à prononcer les noms de ces étrangers, un prisonnier est désigné alors pour lire la liste, des noms sont cochés, il lit 46 noms, dont celui de Stanislas.
Ils sont conduits de nouveau dans la casemate humide pour la nuit. Stanislas est toujours fiévreux, mais la soirée est chaleureuse, les hommes ont compris qu’ils seraient emmenés le lendemain, pour être fusillés. L’un d’eux écrira sur le mur à la pointe d’un clou « nous sommes 46 qui attendons la mort avec courage et confiance en la victoire. Vive la France »[3].
Le matin du 21 septembre, à 7h, des cars sombres sont garés dans la cour, les 46 sont poussés dedans sans ménagement par des soldats ss. Ces hommes, que l’on emmène à la mort, redressent le torse, serrent les poings et chantent une vibrante Marseillaise, bientôt accompagnée par les autres prisonniers du fort, par des femmes aussi, prisonnières en attente d’être déportées. Ça donne du courage. Lui, il ne peut pas chanter, sa voix n’est plus qu’un filet presque inaudible, il se sent si faible. Mais il relève la tête quand même et serre le poing, comme les autres.
Ils circulent un moment dans les rues déserte de Paris, et arrivent bientôt à destination. Un autre fort, sur une autre colline près de Paris. On les fait descendre et on les conduit dans une minuscule chapelle aux mur bleus. Les 46 sont serré là. Il a du mal à tenir debout, et quand il vacille, un camarade le rattrape et le soutient. Il voit un gars tenter d’écrire avec son ongle sur le mur, un vive la France Libre ! un autre ajoute un mot qu’il ne parvient pas à lire. Un officier appelle 4 noms, les gars serrent des mains, il y en a un qui souris, il plaisante et dit « à tout à l’heure là-haut les gars ! » et on rit. Quelques minutes plus tard on entend les coups de feu. Le silence est troublé par un vigoureux « mort pour la France » d’un camarade. Les autres approuvent. Ce sera le rituel pour chaque groupe de 4 qui s’en va. Stanislas fait partie de l’avant dernier groupe à partir, il est presque rassuré car on dira qu’il est mort pour la France, alors que les derniers n’auront pas cette chance. Il est emmené dans une petit clairière creusée dans la colline. Il y a 4 poteaux alignés, on l’attache à l’un d’eux. Il refuse le bandeau sur les yeux. Ce matin est paisible, il entend des oiseaux qui chantent dans les arbres autour de la clairière, un vent léger fait frissonner leurs feuilles et au-dessus les nuages blancs ont des formes de coussins confortables dans l’azur. Il pense à Madeleine, avec qui ils avaient joué à chercher des formes dans les nuages un après-midi au bord de l’eau, il sourit à ce souvenir, il ferme les yeux, et soupire, il pense à sa petite porteuse d’espoir Nadja, à ses yeux d’un bleu limpide, telle ceux de Ewa sa grand-mère. Son dernier vœu, qu’elle survive et soit heureuse.
Un ordre bref, les fusils se lèvent, un autre ordre et les coups partent, dans un bruit infernal, son corps tressaute, la douleur fulgurante n’aura duré que quelques seconde, il s’affaisse autour du poteau, c’est fini, il est 10h46 du matin, ce 21 septembre 1942, note le secrétaire ss chargé de rapporter chaque fait avec précision. 46 otages éliminés, choisis parmi les prisonniers communistes et juifs. Près de Bordeaux, ils seront 70 ce même jour, fusillés. 116. 116 otages morts pour avoir lutté, résisté. C’est ainsi que les SS tentent d’effrayer les gens, pour un allemand tué, 10 otages fusillés. Et ces derniers temps les actions se sont multipliées.
[1] Le fort de Romainville. Il servit de transit aux femmes, résistantes et juives avant leur transfert vers Auschwitz et aux otages avant d’être fusillés.
[2] Prononcer Nadioushka diminutif de Nadia.
[3] Ce graffiti est véridique, ainsi que le déroulé des derniers jours au Fort de Romainville, tiré du témoignage de Pierre Serge CHOUMOFF in LE PATRIOTE RESISTANT N°665