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21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 15:08

Interview de Madeleine OBODA née DELERS[1]

Avant de connaitre Staczek (lire Stachek) j’avais milité aux jeunesses communistes en Belgique. Je suis arrivée à Paris en 1939, au moment de la guerre. Je venais de terminer mes études en dessin publicitaire aux Art-Déco de Bruxelles.

Je suis revenue en auto-stop, ma mère était morte, et mon père s’était remarié, sa nouvelle femme ne tenait pas tellement à ce que j’habite chez eux ;

J’avais 20 ans, au début je pensais aller chez mon père, puis comme ma belle-mère ne voulait pas que je reste à la maison j’ai travaillé. J’ai travaillé dans la métallurgie, j’avais d’abord cherché du travail dans mon métier mais c’était la guerre, on n’avait pas besoin de dessinatrice en publicité.

   

J’étais triste aussi à cause de cette situation, mais indépendante.

Je suis donc devenue riveteuse pour gagner ma vie, puis j’ai cherché à prendre contact avec le PC.

Quand il y a eu ce drame avec ma belle mère qui ne voulait pas que je reste, j’ai pris mes affaires et je suis partie. Mon père habitait dans le 13ème, d’abord j’ai loué une chambre dans un hôtel près de chez lui, puis un autre dans un hôtel près du Père-Lachaise. Mon père était malheureux. Le parti était illégal, ce n’était pas facile.

J’ai travaillé longtemps comme riveteuse, jusqu’à la débâcle.

Après la débâcle j’ai trouvé un nouveau logement à Puteaux, c’était une petite chambre avec kitchenette, les WC étaient dehors. Cette chambre je l’ai ensuite prêtée à une copine dont le mari revenait de la guerre d’Espagne, elle voulait absolument vivre avec lui et ils n’avaient pas où aller. Je lui ai donc prêté cette chambre et je suis allée vivre chez une copine à Paris.

 

En Belgique, avant la guerre, Staczek était connu comme un militant extraordinaire, il avait été en Espagne, il bénéficiait d’un grand prestige. A l’époque je ne le connaissais pas personnellement.

C’était un mineur polonais qui travaillait dans les mines du Nord, depuis plusieurs années, il militait au PC aussi, tout le monde autour de moi en parlait avec admiration.

Pendant qu’il était prisonnier au camp de GURS je lui avais écrit, j’avais un filleul dans ce camp, je correspondais avec lui, et j’écrivais aussi à Staczek.

Après son évasion du camp, je l’ai rencontré à Paris. La première fois que je l’ai vu ça devait être chez des amis polonais. Il avait 10 ans de plus que moi. Il était très sympathique et bénéficiait du prestige de quelqu’un de très combatif.

Je suis allée vivre quelques temps avec lui dans l’hôtel ou il habitait. Puis j’ai essayé de récupérer ma chambre à Puteaux parce que la copine chez laquelle je logeais était scandalisé que nous ayons apporté du papier pour les tracts clandestins chez elle, ce qui la mettait en danger.

Que faisiez-vous?..[2].

  Je travaillais. Je faisais un peu de tout, grâce à mes amis polonais je travaillais dans un atelier de couture, confection, finition. Ce n’était pas mon truc mais j’avais appris.

Et puis j’ai fini par récupérer mon logement à Puteaux et nous y avons vécu avec Staczek un an.

Jusqu’à ce qu’il soit pris. Donc de décembre 1940 à février 42. Au moment où il s’est évadé de GURS, il avait juste un faux certificat de démobilisation.

Comment était la vie quotidienne?..Numériser0003

la vie quotidienne ? on s’est marié pour qu’il puisse avoir des papiers en règle, parce qu’il n’avait qu’un permis de séjour qu’il devait renouveler tous les trois mois.

Il n’a jamais eu de carte d’identité, puisqu’il a été arrêté. Son vrai nom était Oboda.

Pourquoi veniez-vous de Belgique?... si je suis allée habiter en Belgique avant tout ceci, c’est que ma mère étant décédée, mon oncle qui était dans le milieu artistique avait tenu à s’occuper de mon éducation. Mais je ne suis pas restée très longtemps chez lui, il y avait des problèmes avec sa femme.

A Puteaux, quand je vivais avec lui, je ne savais pas ce que faisait Staczek, il militait toujours dans le Nord, j’ignorais la nature de son travail, même si je connaissais beaucoup de ses camarades, puisque c’étaient aussi les miens.

Au moment où il a été fusillé, ses camarades sont venus me voir, en l’occurrence Iosef SPIRA, qui est venu me trouver à Puteaux pour me demander si je voulais entrer dans la Résistance.

Je ne demandais que ça.

Mais entre-temps j’avais eu un bébé.

N’aviez-vous pas peur que votre mari ou vous soient arrêtés par les allemands?... un jour la police allemande est venue chez moi. J’étais au marché à ce moment, j’avais laissé le bébé à la maison (la fillette avait 3 mois). Je vois des voisin qui viennent à ma rencontre et me disent :

_ « Madame, les allemands sont entrés chez vous », j’avais l’habitude de toujours laisser la clef sur la porte, à cause du bébé. Ce matin-là, Staczek lui aussi était parti à ses rendez-vous, il m’avait dit qu’il reviendrait par tel bus à tel endroit, il devait rentrer, mais nous n’avions pas fixé de rendez-vous précis.

J’ai d’abord demandé aux voisins s’ils ne voulaient pas attendre Staczek à la station d’autobus, mais ils ont refusés. J’ai donc décidé de ne pas revenir chez moi, mais d’attendre Staczek jusqu’à son retour. Il est arrivé et je l’ai prévenu : « ne rentre pas à la maison, les allemands y sont, les voisins m’ont prévenus ». Donc il était relativement sauvé, il avait échappé à l’arrestation.

Quand je suis revenue chez nous, les policiers allemands (en uniforme) avaient tout démantibulé dans la chambre, ils avaient démonté le poêle, vidé la caisse de sable contenant des carottes, tout était sans-dessus dessous, même le lit du bébé. Quand je suis entrée, ils m’ont dit _ «  en voilà une mère  qui laisse son enfant, comme ça !... » Ils ont voulu m’interroger, mais je leur ai dit que mon mari n’était plus là, qu’il travaillait en Allemagne. Alors ils n’ont pas voulu me croire. Je leur ai dit que je ne savais rien, qu’il m’avait quitté. J’ai tout nié. Ils sont partis. Plus tard, Staczek a essayé de me joindre, il ne fallait pas, ce n’était pas prudent.

Il est allé se réfugié chez un ancien des Brigades, j’ai oublié son nom. C’était aussi un polonais, mais c’est lui qui l’a livré aux allemands.

Je n’ai appris tout cela que par la suite, par Dasha, une camarade juive, dont le mari avait été également arrêté.

Donc j’ai finalement su qu’il avait été arrêté, de toute façon il n’y avait plus de nouvelles, plus rien.

Je suis restée sans nouvelles de lui très longtemps, jusqu’au jour où il a envoyé un gardien de prison, un polonais, qui m’a demandé si je pouvais lui envoyer une lettre, j’en ai profité pour donner différentes choses. Je n’ai plus rien su, sauf quelques temps avant qu’il ne soit exécuté.

Le mari de Dasha était à la prison du Cherche-midi, et moi je suis allée porter des valises avec des vêtements de rechange à la prison de la santé, et du cherche-midi, j’avais glissé des petits papiers dans les ourlets de sa chemise, quand on m’a rendu le linge, les papiers y étaient toujours, il n’avait pas eu l’idée de les chercher.

Un jour, on a refusé de prendre la valise. Cela voulait dire qu’ils l’avaient pris, qu’il était en danger.

Un jour du mois d’octobre 42, je me trouvais à la maison, je tricotais des pulls pour gagner ma vie, il fallait aussi que je garde le bébé, la police, (un civil) est venu me dire qu’ils l’avaient fusillé, on m’a rendu ses affaires.

Les voisins disaient : «  tant que vous ne voyez pas cela écrit noir sur blanc, vous ne devez pas y croire », quelques temps, je n’y ai pas cru.

Mais seulement au moment où ses camarades sont venus me demander : « est-ce que tu veux entrer dans la Résistance, tu feras le transport du matériel, tu seras agent de liaison… » Alors tout d’abord j’ai dit « mais le bébé, qui va s’en occuper ? » Ils m’ont dit «  t’en fais pas, on va trouver quelqu’un pour le garder. »

La première chose que j’ai eu à faire, presqu’immédiatement, le lendemain du jour où j’ai reçu les camarades, j’ai eu à transporter un revolver. Tout de suite on m’a mise dans le bain, on m’a donné un révolver à ranger chez moi, alors que la police avait déjà connaissance de mon adresse.
On m’a dit aussi : «  tu vas recevoir une solde militaire. Je crois que ça tournais autour de 1000 francs à l’époque. » Ce n’était pas beaucoup, juste assez pour vivre, juste assez.

Alors j’ai fait venir tout de suite Dasha, la femme d’un ami qui avait été envoyé dans un camp de concentration. Dasha était restée seule avec son petit garçon, qui avait deux ans à l’époque.

Dasha qui était juive et clandestine, est venue dans cette maison déjà suspecte, ce n’était pas très prudent.

Mais bientôt les camarades m’ont dit de déménager «il ne faut pas que tu restes ici, tu dois prendre un autre logement sous un autre nom… »

Alors j’ai joué une chambre 10 passage courtois.

C’était encore moins confortable qu’à Puteaux, il n’y avait pas l’eau courante, juste le gaz, la chambre était au deuxième étage. Nous avons vécu là-dedans, Dasha, les deux enfants et moi. On dormait à trois dans un lit de 80 centimètre, tête bêche, la petite Nadja dans son berceau.

A ce moment, moi je m’occupais déjà de transport de matériel. Comme il fallait bien ranger le matériel quelque part, c’est là aussi que je l’entreposais.

C’est jusqu’à l’entrée de ce passage que Michel m’accompagnait, en protection, quand nous avions un transport à effectuer, il marchait devant moi dans les rues, mais il s’arrêtait devant le passage, et il n’a jamais connu l’adresse exacte.

Donc, la dynamite était sous le lit, les détonateurs pas très loin. On était complètement inconscientes du danger, avec ça, nous aurions pu faire sauter tout le quartier !...

Ceci, jusqu’au moment où Dasha, qui était un peu plus âgée que moi, c’est rendue compte combien tout était trop risqué, surtout avec les deux enfants, elle m’a fit «  il faut absolument trouver autre chose ». Un jour, Dasha c’est mise à pleurer, c’était trop dur de vivre comme ça. Après tout ce qu’elle avait connu, le fascisme, moi je bénéficiais d’une méconnaissance du danger. J’étais contente de militer, de participer à la lutte. Elle en savait plus que moi là-dessus, et elle m’a dit : « je ne veux plus vivre comme ça, avec les enfants, la dynamite sous le lit, et s’il t’arrive quelque chose… »

C’est encore un ami polonais, un certain Roman, un sympathisant, qui nous a trouvé un logement, à A., dans l’Eure et Loir. C’était une chambre assez grande, avec une grange. Dasha est partie s’y installer avec les deux enfants, nous avons emporté toutes leurs affaires, je l’ai accompagné. Elle tricotait des pulls, pour les paysans, en vrai laine, pas en angora comme pour les allemands. Elle faisait ça pour vivre, et je lui donnais une partie de ma solde, de manière à ce qu’elle puisse s’en sortir, avec les deux enfants à nourrir.

Nous avions déjà l’habitude de tricoter, nous avions gagné notre vie un certain temps avec ça… (Histoire des pulls angoras)[3]

 [1] Malheureusement, il n’y a ni la date, ni le nom de l’interviewer, ni même les questions qu’il pose.

[2] Pour une lisibilité plus fluide, je prends le parti de recréer les questions, en fonction des réponses donnée,  car elles  sont absentes du document d’origine.

[3] Cette histoire ne figure nulle part dans les textes de Madeleine, ni dans cette interview.

 

(l'interview étant très longue LA SUITE DEMAIN...)


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