l'enfance
Il est sur le pas de la porte, un sac de toile en travers de sa veste rapiécée, un chapska sur la tête.
Il se retourne, hésite un instant, jette un dernier regard sur son fils Stanislas, un an. Quand les reverrais-je ? pense-t-il. Les reverrais-je même un jour ?
Helena sa femme cache une larme qu’elle essuie furtivement dans son fichue coloré qu’elle porte sur la tête. Son ventre déjà arrondie la robe de laine grise, derrière un tablier aux couleurs d’autrefois, les deux si usés qu’ils laissent deviné l’épaisseur du tissu d’en dessous. Il lui sourit, et dit d’une voix qui se veut rassurante « quand je rentrerai nous aurons de quoi nous acheter notre terre à nous, nous y cultiverons des pommes de terre, nous élèverons des poules, des lapins…la voix s’éteint dans le souffle dans la gène d’oser y croire. Il reprend moins sûre de lui, mais d’un ton plus fort, « je t’enverrai de l’argent, tu peux compter sur moi, ne t’inquiète pas, je rentrerai bientôt »
Huit ans ont passé. L’argent promis a beaucoup tardé à arriver, puis n’est plus arrivé du tout. Helena n’est plus l’ombre que d’elle-même. Les suées de la nuit la laisse sans force au matin, et cette toux qui l’épuise toujours un peu plus, la fièvre ne l’a quitte plus, et la faim; La sienne n’a pas tant d’importance, mais celle de ces petits, c’est insupportable. Depuis plusieurs semaines déjà elle n’a plus la force d’aller travailler avec eux la terre des autres.
Les deux enfants ont suivi un cercueil d’emprunt jusqu'à la fosse commune, un enterrement de misère. La famille se réduit à la misère des temps. Qui à les moyens de recueillir deux orphelins ?ils n’ont que 9 et 8 ans.
Heureusement pour eux, Stanislas et son frère Tadeusz ont la chance d’être bien bâtit, solide sur leurs jambes, durs à la tâche. Ils courbent l’échine et ne pleurent pas, les larmes des petits malheurs de l’enfance sont déjà loin maintenant. Ils restent ensemble, c’est leur seule force. Stasciek s’occupant de son cadet Tadek Ces petits noms qui ont la saveur d’enfance, resterons jusqu’à la fin de leurs vie. L’ainé protégeant son cadet des brutalités des hommes, de la faim du froid…
Quatre ans plus tard, ils suivent les traces du père dans l’exil de la faim. Stasciek ne veut pas lui ressembler, ce lâche qui les a abandonné, laissé livré à eux même, personne ne sait d’ailleurs où il se trouve, mort ou vif. Pas question de partir pour l’Amérique, de toute façon les frontières sont fermées désormais. Il se l’imagine menant la belle vie à Détroit, là d’où venaient les derniers mandats deux ans avant la mort de leur mère. Stanislas est le plus virulent ! Sa conscience de jeune homme s’éveille aux grands axes du monde, un monde à deux vitesses, les riches qui possèdent toujours plus, et le peuple qui se meurt à la tâche. Il a soif de vivre autre chose, d’apprendre toujours plus. L’école où il n’a eu la chance que d’aller très peu lui a ouvert l'accès à la lecture, au calcul et à l’écriture. Il a continué seul, acharné à comprendre, posant des questions à tous ceux qui pouvaient lui apporter un savoir supplémentaire. Il ne garde pas son savoir, mais partage avec Tadek, le poussant à faire comme lui.
Ils arrivent en juillet 1922, dans une petite bourgade du Tarn dans le sud ouest de la France. Ils accompagnent plusieurs compatriotes venus eux aussi travailler dans les mines de Charbon de CARMAUX. Ils y retrouvent une communauté polonaise regroupée dans des baraquements organisés par région et nationalités. Il y a aussi des Espagnols des Hongrois, des Italiens…les habitations de fortunes, sans grand confort, dans une chaleur étouffante.
Tadeck et Stacsiek s’installent cote à cote sur des châlits de bois, au pied duquel ils ont installés leur seule valise de haillons, c’est tout ce qu’ils possèdent.
Ils vont dès le lendemain se présenter au bureau d’embauche. On n’est pas très regardant sur l’âge des candidats, personne ne pose de questions sur ces deux enfants venus seuls, sans autres famille. Mais ici, le groupe fait office de famille solidaire autour d’eux, ont les prends en charges, et c’est bon d’être dans cette chaleureuse fraternité.
Et puis il y a le syndicat, constitué par un groupe d’hommes plus instruits. Il prend sa force dans le droit à la reconnaissance, aux respects des conventions, on y revendique et défend les plus faibles face aux plus forts comme l’application effective des 8heures de travail journalier. On peut s’y instruire, apprendre la langue française, ses droits, ses devoirs, s’ouvrir à la logique prolétarienne, aux revendications internationalistes, lire Jaurès à l’honneur à Carmaux, ici c'est l'ancien député socialiste assassiné en 14, défenseur des ouvriers verriers et des mineurs.
Stanislas se sent exister enfin ! Enfin il n’est plus l’outil d’un autre mais acteur de son existence, enfin il devient l’instrument du changement, pour un projet de société plus juste. Il revient des réunions politiques et syndicales toujours plein d’espoirs, enthousiaste près à relever les défis. Mais Tadek, ne semble pas vouloir partager son exaltation. C’est la première fracture entre eux. Il n’a pas l’énergie, l’envie de se frotter aux combats, ce n’est pas dans son caractère de revendiquer, de parler haut. Stacsiek est tout aussi timide, et pour le moment il ne fait qu’écouter, applaudir, lever le poing et chanter en français l’internationale avec les autres, dans la chaleur virile des espoirs qu’elle soulève. Tandis que Tadeck pause ses yeux bleu sur les robes légères des jeunes filles aux champs et sourit, quand elles laissent le vent voir leurs mollets…l’une d’elle est plus effrontée que les autres, elle s’appelle Agnes…